François Hollande s’est déclaré favorable à la création d’eurobonds, dont le but serait de mutualiser les dettes souveraines de la zone euro. D’autres pays plus robustes économiquement, comme l’Allemagne, s’y opposent. Alors, quels seraient les gagnants et les perdants d’une telle opération ?
Par Acrithène.
Ces divergences d’intérêts sont le principal obstacle à la mesure. L’Allemagne refuse d’alourdir la charge de ses intérêts pour aider ses voisins. Cependant, la crise européenne de la dette a aussi un coup pour nos voisins d’outre-Rhin, tant parce qu’ils participent aux multiples plans d’aides que du fait que la croissance ralentie du continent plombe leur propre prospérité. Aussi n’est-il pas, a priori, si clair qu’il soit dans leur intérêt de refuser le principe d’obligations communes si cela permettait de sortir de la crise.
L’objet de cet article est d’estimer – grosso modo, et avec quelques hypothèses grossières – le coût et les gains pouvant être attendus des eurobonds.
L’impact budgétaire dans les États de la zone euro
La problématique centrale est celle du taux d’intérêt qui serait associé aux obligations communes. Une petite régression linéaire sur les principaux déterminants du taux d’intérêt (dette/PIB, déficit…) aboutit à un taux d’intérêt à 10 ans de 2,7%, légèrement meilleur que celui payé par la France (2,9%) ou l’Autriche (2,8%), deux pays notés AA+ par l’agence S&P.
L’hypothèse d’une note de crédit de AA+ est celle retenue par plusieurs études sommaires ayant essayé d’évaluer le coût budgétaire de la mesure. C’est aussi la note du Fonds Européen de Stabilité Financière.
En supposant le taux à 10 ans représentatif de la charge de la dette, on peut calculer assez facilement le coût budgétaire de la mesure pour chaque pays à long terme, c’est-à-dire lorsque l’essentiel de sa dette aura été convertie. Il suffit de soustraire au taux actuellement exigé le taux hypothétique de l’eurobond, puis de multiplier cette différence par la dette publique. Le tableau suivant vous propose cette estimation pour les pays de la zone euro, pour différentes hypothèses de taux de l’eurobond. Je retiens celle de 2,7% pour l’instant.
On voit qu’à l’échelle européenne, la mesure permettrait des gains budgétaires conséquents, mais au détriment des pays les plus vertueux, en particulier de l’Allemagne. À long terme, le fait de devoir emprunter à un taux de 1% supérieur coûterait 25 Mds € par an à ses contribuables. Ce coût ne serait atteint que progressivement, le temps que l’Allemagne doivent refinancer son ancienne dette au nouveau taux. Le ministre des finances allemand avait fourni à la presse une estimation semblable (source). À titre de comparaison, ce coût pour l’Allemagne dépasse le chiffrage du programme présidentiel de M. Hollande (20 Mds €)…
Concernant les autres pays, la mesure serait très salutaire à l’Italie, et, rapportée à la taille du pays, encore davantage à la Grèce. Pour cette dernière, l’économie réalisée est virtuelle vu que personne ne s’attend à ce que le pays puisse honorer sa dette. On ne fait pas d’économies sur ce que l’on ne peut pas payer…
En revanche, les eurobonds n’apporteraient pas grand-chose à l’Espagne et ne constituent donc pas une réponse à la profonde crise que traverse ce pays et ses 25% de chômage. On aurait donc tort de voir dans les eurobonds la réponse à tous les problèmes économiques de l’Europe.
Les détenteurs de dette
Une conséquence des eurobonds qui ne semble pas intéresser les commentateurs est leur impact sur les créanciers actuels des pays européens, à savoir principalement le système bancaire des différentes nations et les épargnants : les porteurs d’assurances vie par exemple, c’est-à-dire vous et moi.
Concrètement, deux obligations d’un même État ayant le même horizon temporel doivent avoir le même rendement, soit, en gros, un ratio [paiement annuel]/[valeur boursière] identique. Sans cela, les investisseurs vendraient instantanément l’obligation chère pour acheter l’obligation bon marché, donnant droit aux mêmes paiements pour un même risque. Ces transactions égaliseraient en quelques secondes les prix des deux obligations.
En conséquence, les anciennes obligations allemandes verraient leur valeur baisser jusqu’à ce que leur rendement atteigne 2,7%. Les obligations grecques profiteraient quant à elles d’une appréciation vertigineuse. Logique pour un pays insolvable dont le trésor allemand deviendrait soudainement caution.
Plus précisément, à l’hypothèse de 2,7%, on peut s’attendre au triplement de la valeur des obligations grecques et à une chute de 10% des allemandes. Une multiplication par le montant des dettes nationales estime les gains et pertes de détenteurs d’obligations de chaque nation.
Au coût annuel pour le contribuable allemand, s’ajouterait alors une perte de valeur dépassant 200 Mds € pour les créanciers de l’Allemagne, principalement les épargnants allemands. Pas sûr que les retraités allemands apprécient !
Le scénario « AA »
Le scénario AA+ est fondé sur les perspectives actuelles d’évolution de la dette européenne. Elles-mêmes dépendent de la volonté des États membres de limiter leurs déficits. Or leur incitation la plus forte vient de la crise de la dette faisant exploser le coût de financement des pays aux politiques budgétaires laxistes. Avec l’instauration des eurobonds, cette « motivation » risque de disparaître dans la mesure où un État ne verra plus sa politique budgétaire être significativement sanctionnée par les marchés. Déresponsabilisé, chaque pays serait alors moins attentif, et l’ensemble de la zone verrait sa dette s’accroître bien au-delà des perspectives actuelles.
En évoquant le cas de l’Espagne, je montrais que l’apparition des eurobonds ne résoudrait pas l’essentiel des problèmes de la zone euro. Libéré par l’Allemagne de la contrainte des marchés, les gouvernements connaissant de fortes difficultés et mettant actuellement en place des mesures d’austérité drastiques (Espagne, Italie, Portugal, Grèce… bientôt la France ?) seront tentés par des politiques beaucoup plus populaires et dépensières, leurs effets pervers étant dilués à travers le continent. Rappelons que dans son scénario actuel, la Commission Européenne prévoit un retour à l’équilibre budgétaire de l’Italie dès 2013… Est-ce crédible sans la pression des marchés financiers ?
Pour cette raison, l’Allemagne exige comme pré-requis impératif aux eurobonds des règles budgétaires extrêmement strictes et engageantes, par exemple l’inscription contraignante dans les Constitutions. Or Hollande lui-même refuse la fameuse règle d’or…
Le scénario de la Commission Européenne table sur un déficit de la zone euro de 3% et une dette publique égale à 93% du PIB en 2013, soit exactement les mêmes chiffres que ceux attendus pour la France notée AA+. La Belgique, notée AA, prévoit pour 2013 un déficit de 2,6% et une dette de 100%. Le taux d’intérêt à 10 ans sur les obligations belges est de 3,5%. Ces chiffres illustrent le fait que tout dérapage budgétaire de la part de pays jouant les passagers clandestins mènerait en deux ou trois ans à une dégradation de la note européenne. Cette dégradation impliquerait un taux plus proche de 3,7% (ce qui reste 2 pts de moins que les taux actuels de l’Espagne ou de l’Italie).
On remarque qu’à de tels taux, la France deviendra aussi perdante, tandis que les pertes de l’Allemagne deviendraient totalement inacceptables (50Mds € par an pour le contribuable, 400 Mds € pour les porteurs d’obligations allemandes). Un tel scénario n’ayant rien d’invraisemblable, on comprend alors l’hostilité farouche d’un certain nombre de pays vertueux aux eurobonds dans un futur proche, sauf à annihiler la souveraineté budgétaire des pays de la zone.
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