L’eau ne conduit pas le courant ; c’est une rumeur… L’eau pure, du moins, car elle ne contient pas d’ions, porteurs de charge en solution : ni zinc, ni magnésium, ni cuivre, ni vanadium, ni fer, ni cobalt, ni sélénium, ni fluor, ni manganèse… ! Mais est-ce vraiment sûr qu’elle ne contient pas d’ions ?
Dans danger dans le micro-ondes, j’évoque un proton qui se balade en solution… En fait, ça n’existe pas, pas plus que le CO2 ne se balade ainsi dans l’organisme (il se lie à l’eau pour former H2CO3).
L’autoprotolyse de l’eau
En réalité, un proton ne “se balade” (!) pas seul en solution : H+ est, dans le cas présent, plus une idée qu’autre chose. Il se trouve que l’eau est une espèce ampholyte : elle se comporte à la fois comme un acide et une base. A ce titre, elle peut et céder et capter un proton ; elle a donc tendance à ne pas chercher bien loin son partenaire acidobasique. Plutôt que de s’échanger des protons avec un autre couple acide/base que les siens (H3O+/H2O et H2O/HO-), l’eau est le siège d’une autoprotolyse : H2O choppe un proton labile à une autre molécule d’eau, devenant alors H3O+. La molécule d’eau ainsi volée se retrouve dénuée d’un proton : elle devient HO-. En résumé :
Bref, un proton égaré a vite fait de se lier à l’eau et finir ainsi en H3O+ou HO- !
La constante d’équilibre de cette réaction intrinsèque à l’eau pure, définie comme le produit des concentrations en ions oxonium (H3O+) et hydroxyde (HO-) est appelée produit ionique de l’eau. A 25°C, ce produit vaut 10-14, autant dire qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! Dans les faits, l’eau pure ne conduit donc pas le courant, étant donné le nombre impondérable d’ions (porteurs de charges en solution).
Application au potentiel hydrogène
Le potentiel hydrogène, ou pH, découle de ce que nous venons de voir. En effet, l’autoprotolyse de l’eau produit autant d’ions oxonium autant que d’ions hydroxyde. Connaissant le produit, on en déduit la teneur de l’eau en ions oxonium et hydroxyde de l’eau pure : 10-7 pour les deux !
Il se trouve que le pH se définit comme le cologarithme de la concentration en ions oxonium, soit -log(10-7)=log 10-7=7. Preuve est faite que le pH à neutralité, correspondant à l’eau pure, vaut 7 !
En deça, la solution est acide, au-dessus basique. Plus aucune raison d’acheter un shampoing neutre à pH 6
Au sein de la molécule d’eau, l’oxygène (en rouge) est bien plus électronégatif que l’hydrogène (en blanc) ; par conséquent il attire les électrons et se retrouve ainsi chargé négativement, au détriment de l’hydrogène, électropositif. Une telle molécule d’eau s’associe avec une autre, l’hydrogène (+) de l’une étant attirée par l’oxygène (-) de l’autre (les contraires s’attirent !) : cela forme une liaison hydrogène.
Schéma d’une liaison hydrogène.
L’eau se caractérise par un moment dipolaire permanent, puisque la molécule d’eau se définit par une répartition hétéroclite de charges électriques telles que le barycentre des charges positives ne coïncide pas avec celui des charges négatives. Résultat, à une molécule d’eau est associé un vecteur-résultante de l’attraction. La norme de ce vecteur s’exprime en debye, et le moment dipolaire de l’eau vaut 1.83 D : bien assez pour que les molécules d’eau s’attirent les unes les autres !
Il existe aussi des moments dipolaires induits par un champ électrique. Je vous renvoie vers un cours d’électromagnétisme des milieux matériels. Les éléments sujets à la polarisation sont dits polarisables.
Du fait de la répartition non uniforme des charges en son sein, la molécule d’eau est polarisée : l’eau est un solvant polaire, et ceci se ressent sur ses propriétés chimiques. Pour cette raison, l’eau a tendance à ioniser les composés introduits, c’est-à-dire qu’en versant du chlorure de sodium (NaCl) dans de l’eau, le sel de table se dissocie en ions Na+ et Cl- : c’est la solvatation. Mais surtout, l’eau est un solvant polaire protique : puisque l’oxygène s’accapare tous les électrons, la liaison oxygène-hydrogène est fragilisée. Ne tenant qu’à un fil, et un composé chimique n’aura pas de mal à piquer un atome d’hydrogène à la molécule d’eau. Atome d’hydrogène chargé positivement (en raison de son déficit en électrons), donc proton, d’où le terme protique ! Cette capacité de l’eau à céder facilement un proton est à l’origine de sa réactivité acidobasique, et je n’aurai pas l’audace de faire un couplet pour vous dire que notre métabolisme est truffé de réactions acidobasiques, c’est-à-dire qui mettent un jeu un transfert de proton.
D’ailleurs, le H2CO3 que j’évoque au début de l’article se dissocie en bicarbonate (HCO3-) et un proton. En apparence ! La réaction n’est pas H2CO3 => H+ + HCO3-, mais autre…
Tant dans l’eau gazéifiée que dans le sang, dioxyde de carbone dissout et acide carbonique sont en équilibre selon :
CO2 (aq) + H2O(l)
La constante d’équilibre associée à cette hydratation est très faible (1,70×10-3 à 25° C) : l’acide carbonique est instable. Voici ce qu’il se passe vraiment :
H2O + H2CO3 → H3O+ + HCO3-
Cette réaction est le tampon sanguin le plus important pour le maintien du pH physiologique. Et, pour la route :
H2O + HCO3- → H3O+ + CO32-
Vous voyez des protons ? Moi, non ! Les protons sont tout, sauf solitaires…
L’effet Bohr, du nom de Christian Bohr, père du physicien Niels Bohr, désigne la diminution de l’affinité de l’hémoglobine pour le dioxygène (O2) lors d’une augmentation de la pression partielle en dioxyde de carbone (CO2) ou d’une diminution de pH : lorsqu’à l’effort l’organisme rejette beaucoup de CO2, l’affinité du dioxygène pour l’hémoglobine est moindre : l’hémoglobine largue alors plus d’oxygène aux tissus qui en ont plus que jamais besoin !
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