Et mon accréditation ? Tu l’aimes mon accréditation ?
À Cannes, durant le Festival, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont une accréditation et ceux qui n’en ont pas. C’est une vérité absolue qui s’applique tous les ans : ceux qui ont, à leur cou, le sésame qui leur permet de voir les films et ceux qui ont un appareil photo et qui espèrent photographier les célébrités (le plus souvent de loin). Mais la catégorie de ceux qui ont une accréditation est aussi soumise à une hiérarchie bien spéciale. D’après ce que j’ai pu comprendre, tout dépend de la couleur du badge. À moins que ce ne soit un problème de bracelet…
Si vous avez un badge à votre cou, toutes les portes s’ouvrent. Vous pouvez aller voir les films en compétition, vous pouvez aller voir les films présentés au Marché du film, vous avez le droit de lire Variety, le magazine américain réservé aux journalistes (accrédités), vous pouvez espérer interviewer de la star, vous pouvez accéder à certaines soirées… En gros, vous êtes comme DiCaprio dans Titanic : le Roi du monde.
Une situation privilégiée qui semble incompatible avec le fait même de se plaindre. Imaginez le truc : vous avez le droit d’aller voir tous les films projetés dans le cadre du festival. Avec un peu de chance, vous rencontrez des gens célèbres (si c’est votre truc). Parfois, vous êtes même hébergé à deux pas du centre névralgique de l’évènement. Et cerise sur le gâteau, vous êtes payé. Payé pour écrire sur des films que le public ne découvrira pas avant plusieurs semaines (mois). Payé pour participer au plus grand festival de cinéma du monde. Payé pour vous lever le matin et aller au cinéma et payé pour raconter le moindre truc qui pourrait être digne d’intérêt et donc être publié sur un quelconque support. Le rêve ? Pas si sûr quand on lit les ressentis de certains « participants » qui soulignent régulièrement la difficulté de se lever à 7h pour voir un film alors que la veille ils ont picolé du Martini dans une soirée ou encore qui se plaignent car finalement les films ne sont pas aussi cool que ça. Une pensée pour la femme qui, tous les matins, change les draps dans la chambre de Frédéric Beigbeder au Martinez pour un petit smic…
Quand vous n’avez pas de badge, vous avez le droit de vous agglutiner aux barrières du Martinez ou du Carlton, les palaces de luxe qui jalonnent la Croisette, pour espérer voir une célébrité. Vous avez le privilège de fouler le même sol que George Clooney ou que Michel Denisot et de respirer le même air. Vous avez le droit d’attacher un escabeau à un arbre pour regarder la montée des marches et bien sûr vous avez le droit de vous asseoir à n’importe quelle terrasse de n’importe quel café ou restaurant pour boire un Coca à 10€ (j’exagère à peine).
Pourtant, pour nous, le commun des mortels, aller à Cannes sans accréditation n’est pas dénué d’intérêt. Déjà, il y a le cadre. Cannes c’est beau. Pas plus que Nice ou St-Tropez, mais quand vous aimez le cinéma, le simple fait de pouvoir allier palmier, sable chaud et affiches de cinéma placardées un peu partout est sympathique. À condition de ne pas être trop difficile je vous l’accorde. Aller à Cannes sans être accrédité peut être frustrant, c’est évident.
Car aller à Cannes sans accréditation-et cela même si vous êtes journaliste- ce n’est pas seulement ne pas jouir des quelques avantages énoncés ci-dessus. C’est aussi loger à 30 bornes de la Croisette, dans un hôtel discount et devoir se farcir tous les jours les bouchons pour galérer une heure pour trouver une place de parking qui ne vous obligera pas à manger des patates pendant trois semaines à votre retour au bercail. Les places sont chères à Cannes. Quelle qu’elles soient d’ailleurs.
L’année dernière, je suis allé à Cannes. Sans badge, ni accréditation d’aucune sorte. Juste pour passer deux jours au soleil, espérer croiser du monde, humer l’ambiance, pourquoi pas trouver des contacts pros, en profiter, assister au Grand Journal de Canal Plus…
Fenêtre sur Cannes
Nous sommes le dimanche 15 mai 2011. Arrivée près de Cannes dans la matinée. L’hôtel est loin mais très correct. Il a la télévision par satellite c’est dire ! Dans le voisinage immédiat, une semi-zone industrielle, des commerces et un restaurant Courtepaille.
C’est aujourd’hui que The Artist est présenté en compétition. À l’époque il ne s’agit que d’un film muet en noir & blanc qui affole déjà un peu les compteurs des bookmakers du cinoche.
Départ pour la Croisette. Il fait beau et très chaud. Le paysage défile. C’est magnifique et dépaysant. Arrivée sur place, la chance me sourit et m’offre une place de parking à seulement deux kilomètres du centre nerveux du festival. Distance vite parcourue à pied, sur le front de mer, parmi les palmiers et les parterres fleuris. Pour marquer le coup, j’ai décidé de me pointer à Cannes avec un but bien précis : trouver du boulot. Rédacteur de presse depuis plusieurs années, je me dis que passer pour un con ne serait pas un prix si élevé que cela à payer pour trouver un job. J’ai donc fabriqué une grande pancarte : « En Compétition – Profession : Rédacteur – Cherche Rédaction : Call Me ! 0615****** ». Le tout agrémenté d’un beau dessin de la Palme d’Or.
Objectif de la manœuvre : attirer l’attention des rédacteurs en chef ou de toute personne susceptible de pouvoir m’offrir un travail. Après tout, il y a 50 journaleux au mètre-carré non ? Dans le lot, sait-on jamais…
Sur la Croisette, beaucoup de regards se portent sur moi. C’est normal. Je suis peut-être le premier mec affublé à la fois d’un t-shirt de Kiss et d’une pancarte en forme de petite annonce, qu’ils voient.
Nous sommes restés deux jours à Cannes. Sur ces deux jours, deux ou trois personnes (possédant un badge c’est important) m’ont accosté pour lire ma pancarte et noter des renseignements, sans donner de suite. Mon téléphone est en effet resté muet.
Morale de l’histoire : aller à Cannes avec une pancarte dans l’espoir de trouver un boulot ne rapporte pas du boulot, mais on vous prend en photo.
Je vais vous épargner les allers-retours entre le Palais des Festivals et le VIP Room de Jean Roch, qui encore en 2011 marquait l’extrême limite du Festival. Aujourd’hui, d’après ce j’ai compris, il a déménagé, mais on s’en fout. Je me répète mais c’est pas grave : Cannes est une jolie ville. Pendant le festival, les rues sont animées, les gens souriants, on croise de vrais personnages, il y a des zombies walks, des CRS, des jeunes gens habillés en Gucci et Armani, des touristes qui portent fièrement leur banane à la taille, des types vaguement connus de TF1, France Télévisions ou Canal Plus, des émissions télé étrangères qui installent leurs plateaux un peu partout, des affiches de films que nous ne verrons jamais, des installations monumentales autour des blockbusters à venir, des voitures de luxe, des flashs qui crépitent, des nanas en bikini, des hippies, des gardes du corps, des personnes âgées…
Quand on aime le septième-art et qu’on est jamais allé à Hollywood, Cannes pendant le Festival, donne l’impression d’être au centre du monde cinéma. Tous les regards cinéphiles sont plus ou moins tournés vers ce petit bout de terre au bord de l’eau.
Au Martinez, il y a toute la journée du monde. C’est « the place to be » pour les chasseurs d’autographes. On voit Clovis Cornillac, Gilles Lellouche, Lou Doillon, venue présenter Polisse et Sami Naceri fait un scandale de l’autre côté de la rue. Naceri que nous retrouverons le lendemain (lundi 16 donc) et qui fera ses excuses à la foule tout en essayant de justifier son comportement de la veille. Plus tard, l’affaire s’étalera dans les journaux. Sur les marches, en fin d’après-midi, l’équipe de The Artist parade. De loin on voit que dalle mais c’est marrant.
Le lendemain donc. La journée se déroule bien. Le soleil est toujours présent. Nous avons rendez-vous le soir avec Michel Denisot sur le plateau du Grand Journal. Ma chère et tendre a décroché deux invitations VIP pour assister à l’émission. L’occasion d’être au cœur du brasier cannois ! De voir de près les plus grandes stars américaines ! Ou pas !
À suivre…
@ Gilles Rolland