L'affiche est parlante et sublime. On ne peut que conseiller aux parisiens, aux parisiennes de faire tapis à Frédéric Pagès, sa voix sublime, ses textes poétiques et puissants, alternant humour, bonne ambiance et mélancolie (Un vieil autocar, où vont les morts). L'artiste français, vivant au Brésil depuis quelques années déjà là-bas, est reconnu, suffisamment pour occuper une pleine page dans O Globo,l'équivalent du Monde...et c'est mérité! L'artiste a bien voulu nous répondre à quelques questions avant son retour sur une scène française (le théâtre des Déchargeurs).
Etes-vous prêt pour affronter la scène en juin ?En tous cas je m’y suis préparé. J’essaie depuis, deux ans, de me concentrer sur ce travail : la composition des chansons, l’enregistrement à Rio de Janeiro et en Seine-Saint-Denis, le mixage en Ardèche en un lieu splendide, très propice à l’immersion dans la création et enfin le travail de scène avec Marie Giraud, mon « coach » qui m’a conduit à repenser entièrement ma façon de me présenter en public. Il faut s’efforcer, travailler et re-travailler au corps les textes et les musiques… Mais rien n’y fait, on n’est jamais complètement prêt. Et à un moment il faut malgré tout s’élancer, plonger et compter sur la main secourable de l’ange…
Est-ce que vous nous promettez quelques surprises ?J’espère d’abord que mes nouvelles chansons constituent en elles-mêmes des surprises. J’y aborde des thèmes qui, à mon sens, ne sont pas conventionnels : l’espèce d’hypnose malsaine que suscite la télé (Les Paraboles de l’Antenne), la mort (Où vont les morts ?), un lever du jour en Amazonie (Allons voir le Soleil)….Par ailleurs des invités me rejoindront sur scène qui participent au Cd. Enfin certaines de mes chansons sont propices à des moments d’improvisation musicale. Je tiens à ce qu’il n’y ai jamais deux concerts semblables.
Serez-vous accompagné par des musiciens ? Bien sûr. Pour moi le concert est une aventure collective. J’ai la chance de chanter avec des musiciens professionnels qui sont tous des instrumentistes hors-pair et qui ont chacun un univers singulier : Pascal Pallisco à l’accordéon, Alfonso Pacin à la guitare, Xavier Desandre-Navarre aux percussions, Gaëlle Cotte aux chœurs. Pour moi, dans la chanson, la musique ne peut pas se limiter à un rôle décoratif, d’emballage standard des paroles. J’entends par-ci par-là des chanteuses et chanteurs français qui déroulent, derrière des paroles parfois intéressantes, des kilomètres de clichés musicaux paresseux, conformistes, éculés…C’est bien dommage. Pour ce qui me concerne, j’ai appris avec Nougaro, Ferré et la grande chanson brésilienne l’importance décisive de la composition musicale dans l’art de la chanson et j’essaie de peaufiner les musiques des miennes, que j’élabore soit seul soit en partenariat avec les musiciens qui m’entourent
Qu'évoque pour vous le fait de chanter sur Paris ?Paris est ma ville natale et j’ai, de ce fait, une relation assez complexe avec elle. Il faut dire aussi que, soumise aux lois et à la pression d’un marché effréné, la ville a beaucoup perdu de son âme. A ce régime de rentabilité à tout prix, Paris souffre, asphyxié par la bagnole et par la spéculation immobilière. Même si, dernièrement, du fait des changements politiques qui sont intervenus on assiste à une timide reconquête de l’espace urbain. Par ailleurs Paris est, depuis longtemps, le lieu des jeux de pouvoirs. Dans le milieu culturel par exemple où les rapports de force se sont encore tendus ces dernières années du fait de la « crise » et des choix gouvernementaux. Tout cela fait qu’aujourd’hui, la plupart du temps, pour jouer à Paris dans des conditions décentes, il faut payer. En même temps c’est sans doute un « passage obligé » d’autant qu’il y a dans cette ville un public exigeant et vraiment curieux, capable d’aller chercher au-delà de la soupe tiède et insipide que les grands médias servent à longueur de temps.
Qu'avez-vous à dire au public ?Pourquoi fait-on ce métier ? Nous sommes les passeurs d’un chant qui est plus grand que nous que le public à la fois désire et ne veut pas entendre. Ainsi doit-on chanter à la fois pour et contre le public. Créer c’est encore et toujours affronter l’incompréhension en un combat singulier afin que le poème advienne.
La façon dont le torero Paco Ojeda parle de son métier constitue, selon moi, une belle métaphore du travail de l’artiste de scène. Ce texte m’accompagne et me guide dans mon métier depuis le jour de sa parution dans Libération, le 18 mai 1988 :
« J’ignore ce qu’est la multitude et je ne peux pas toréer pour les multitudes. Mille personnes, c’est déjà une multitude. Vingt également. On est sur le bon chemin lorsqu’il en reste deux ou trois. Si tu es seul avec le taureau, la vérité est là.
J’imagine que les écrivains travaillent dans la solitude. L’artiste a besoin de solitude. Son métier est très difficile. Il lui faut concilier ce qui est à l’extérieur et ce qui est à l’intérieur. Je ne sais pas si je m’explique bien : ce qui se trouve à l’intérieur, c’est notre émotion, et ce qui se trouve à l’extérieur, la compréhension que les autres en ont. Ce n’est pas le taureau qui me fait peur, c’est l’incompréhension. » Paco Ojeda Matador de Toros.
Merci!
L.M