Le Métronome clique t’il droit ?

Par Scienceblog
B

on ben c’est sur : la télé n’est pas lieu de savoir. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait des études pour s’en rendre compte. Par principe, cette télé, qu’elle ait une volonté pédagogique ou non, n’est pas lieu de construction de savoir, mais de représentation : en l’état, l’image filmée, ce n’est pas la réalité. Sauf que … on finit par l’oublier, on fait parfois des erreurs d’appréciation, on confond ce qui est représenté de ce qui existe. La télé a quelque chose de fascinant, et c’est surement pour ça qu’il faudrait apprendre à la regarder : le réalisateur produit un effet de réel, et celui-ci doit pouvoir conduire à une confusion sur le réel.
Sauf que … lorsque des universitaires et des chercheurs font cette confusion, on se mélange les pinceaux. Est-ce le cas pour cette nouvelle critique de l’expression d’un non-universitaire de l’histoire, la grande avec ses petites histoires ? Je parle de cette critique publiée dans B">B" target="_blank" title="Rue89 - Lorànt Deutsch">Rue89, à propos du livre de Lorànt Deutsch Métronome et de la série télé qui en est sortie. Et elle est beaucoup plus intéressante, au travers du prisme restreint d’une analyse des médias de sciences – dont s’intéresse l’auteur de ce blog, que l’objet originel.

De nombreuses pistes d’intérêt, en effet. La première est sans aucun doute cette sorte de mépris de l’expression d’un savoir par un non-universitaire. On le sait, Lorànt Deutsch, acteur et auteur, a la passion de l’Histoire, mais pas celle de l’étude universitaire, ou de l’école, dont il dit n’avoir pas été très bon élève. Les historiens, face à lui, sont bienveillants – après tout, le rapport d’une société à son Histoire est fondamental dans la construction d’une identité nationale (je prends volontairement un exemple qui a du sens aujourd’hui, je ne le pense pas vraiment, mais bon …) et toute personne qui parle d’histoire dans un parcours médiatique quel qu’il soit est intéressant, comme un vulgarisateur ou un troisième homme. Aux yeux de l’historien, la moindre faille est fatale : celui-ci pratique une Histoire scientifique, s’intéresse aux zones d’ombre, aux incertitudes, aux faux semblants et à la réalité des faits. Le moindre écart du vulgarisateur à cette vérité est naturellement sanctionné par le scientifique. Le vulgarisateur devient alors méprisable s’il pousse un peu trop mémé dans les orties, s’il prend trop de libertés face à ce savoir. Et c’est ce mépris qui sanctionne aujourd’hui le pauvre Lorànt, son impossibilité à apporter la moindre source bibliographique. En démontrant ainsi, en creux,  que le vulgarisateur n’est pas habilité à devenir scientifique, que le fait scientifique, ça non, ce n’est pas ce petit gringalet qui nous l’apportera.

La seconde critique est d’ordre idéologique : Lorànt Deutsch ne serait pas neutre idéologiquement, présentant les rois, reines et saints de France comme la vraie Histoire du pays. Et là, on se fâche ! Les historiens (et parmi eux W. Blanc et J. Perrin) voient un choix idéologique proche du Tour de France de deux enfants. Un livre très chargé idéologiquement sur l’identité nationale (moi qui vous écrit d’Alsace, j’en sais quelque chose …). Selon ces auteurs, Lorànt Deutsch serait donc un gars qui produirait un discours pétainiste, dangereux, et auquel les historiens, c’est à dire les scientifiques, ne sauraient adhérer bien sûr, car la science doit avoir une valeur objective certifiée. Bon, mettons à part le fait que l’objectivité n’est surement pas une valeur absolue, qu’elle est relative en fonction de l’époque, et ce n’est pas parce qu’on est historien qu’on pourrait en éviter les écueils. A nouveau, vulgariser, rendre populaire, c’est aussi rendre compte dans une époque et, dans ce sens, en être imprégné.

Que le discours de Lorànt Deutsch soit imprégné d’une idéologie franchouillarde, cocardière ou monarchique, républicaine, ou qu’on tourne autour des grandes idées qui produisent une identité nationale, rien n’est moins normal d’un certain point de vue : après tout, c’est notre pauvre lot commun dans ces époques troublées. Ce qui ferait que cet homme soit un bon ou  un mauvais vulgarisateur tient au final en peu de choses : est-il conscient du choix idéologique qu’il a fait ?

S’il n’en est pas conscient, c’est alors un mauvais « troisième homme » ! J’attends de l’Histoire et de la recherche scientifique non pas qu’elle m’enseigne les faits historiques passés, mais qu’elle m’éclaire sur les conséquences d’une continuité (ou absence de continuité) historique. Qu’a réellement produit la royauté, ou la république, la révolution, ou telle personne ? Je n’attends pas d’avoir des saints étatiques, mais des moyens de réflexion. Et j’attends d’un vulgarisateur qu’il m’aide dans cette réflexion, moi qui ne suis pas historien. Et, pour qu’un vulgarisateur soit « bon », il faut qu »‘il soit conscient des enjeux idéologiques autour de la discipline qu’il représente.

S’il en est conscient, alors c’est plus grave ! Il n’est plus vulgarisateur, il devient homme d’église.

Bref, que vaut-il mieux faire ? Créer un Panthéon des hommes  et des femmes remarquables, faire un choix précis, quitte à mentir peu ou beaucoup sur la destinée de l’un ou l’autre, l’important est qu’il ou elle soit saint(e) ? Ou vaut-il mieux papillonner, homme léger et improbable, dans le savoir des hommes, ignorant des enjeux de savoir qu’il implique, mais irresponsable et entrainant dans son sillage beaucoup d’autres qui, eux, citant le Métronome comme parole d’évangile, s’en servent ?