Les médias s'interrogent sur la suite des blogs de gauche, prédisant leur disparition ou leur remplacement par un équivalent de droite.
Voici quelques exemples :
- Le Monde annonce l'arrivée d'une droitosphère, Roman Pigenel réplique en expliquant la particularité galvanisante de Sarkozy en tant que sujet politique ;
- L'Express demande : "La défaite de Sarkozy va-t-elle tuer les blogs de gauche?" ; Nicolas J. réplique : "Les blogs de gauche ont un bel avenir devant eux : ce sont les derniers – les seuls ! – à faire de la politique."
- Le Figaro parle d'une reconversion délicate et Juan met des bons bémols.
Pour résumer, les journalistes voudraient que les choses suivent une logique naturelle et équilibrée : anti-hollandisme et anti-sarkozysme sont symétriques, l'alternance concerne aussi les blogs. Mais surtout, ils ne voient dans les blogs de gauche que leur antisarkozysme, et la conclusion s'impose toute seule : sans Sarkozy, pas de blogs antisarkozyste, pas de blogs de gauche.
Pourtant, cette conclusion dépend d'une méconnaissance complète de la blogosphère de gauche, où certes Sarkozy a joué son rôle, mais qui a passé autant de temps à parler du PS et des autres partis de gauche, à se chamailler entre partisans des uns ou des autres, à répondre à des chaînes de billets, ou à s'en prendre à d'autres figures comme Lefebvre, Morano, Copé… (la liste est longue).
Sarkozy, et l'antisarkozysme, ne sont que la face la plus visible de toute cette activité. Ils sont aussi le dénominateur commun d'un ensemble qui va des ex-strausskahniens jusqu'aux limites de la gauche anticapitaliste. On pouvait se taper dessus entre nous pendant des semaines pour le lendemain saluer nos répliques à telle ou telle outrance sarkozyste.
Bien sûr, l'absence de Sarkozy change la donne. Ce n'est pour autant que nous n'aurons plus rien à dire.
Dans le contexte spécifique de la défaite du bonhomme, l'antisarkozysme, en tant que thème, revient un peu trop souvent, d'ailleurs. Imaginer la disparition des blogs de gauche, c'est donner trop d'importance à Sarkozy en tout expliquant par lui, et par sa personalité. La droite, après cinq ans à se peindre en victimes, se sert aujourd'hui de "l'antisarkozysme" pour préserver ses "idées" (ou sa "culture" si vous préférez) de la défaite.
Prenez ceci, par exemple. C'est Éric Raoult qui explique pourquoi il est si sûr que l'ex-TGH va revenir en 2017 :
« Il sera candidat en 2017 […] On a voulu, pour cette élection, changer la tête, on n’a pas voulu changer la méthode […]. Les Français voulaient quelqu’un peut-être de plus apaisé, mais, pour autant, ils n’ont pas voulu obligatoirement des visages des ministres que nous avons dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault » […] Je pense qu’il se présentera et je vais vous faire une confidence, je ferai tout pour qu’il soit élu. »
La thèse est que tout va bien : politiquement, économiquement. Les gens adorent ce qu'a fait Sarkozy, c'est juste lui qu'ils ne peuvent plus piffrer. Donc, comme le dit ici Raoult, il suffit de changer de tête et cela repart. La défaite serait juste un problème d'image, trop de "bling-bling", "pov'con" etc. C'est ironique, quand même, pour un président qui, plus que tout autre, avait l'obsession de sa propre image…
Que ce soit pour expliquer la défaite de Sarkozy ou la disparition imminente des blogs de gauche, l'antisarkozysme sert finalement de cache-sexe idéologique : le problème était le bonhomme, pas ses idées, pas son action, pas ses échecs. Pour la droite c'est douloureux, je comprends, de se remettre en cause, et plus facile de rendre les électeurs responsables, ces électeurs frivoles qui se sont attachés aux détails (Fouquet's, yacht, Ray-Bans, Carla, Kadhafi, Bettencourt, chômage, déficits). Malheureusement les journalistes partagent cette analyse, jusqu'à un certain point.
Donc il faut le dire : non, l'antisarkozysme n'est pas superficiel, n'est pas seulement un problème d'image. Car le sarkozysme était un ensemble, un paquet, et le bling-bling et la sur-médiatisation n'étaient que des aspects visibles d'un tout, d'une logique totalisante selon laquelle le président mettait la main sur le pouvoir sur toutes ses formes, médiatique, économique, judiciaire. L'antisarkozysme n'est pas le rejet des lunettes ou des talonettes mais celui de tout un système qui, finalement, était d'autant plus facile à rejeter qu'il avait un seul visage.