en route vers le haut de l'échelle
mon (futur) éditeur
me trouva un jour, j'étais une pile
de débris humains au milieu
des boîtes de bière et des bouteilles de scotch
dans cette ruelle bombardée de
Hollywood est.
il semblait bien propre et
bien convenable, refusa
le scotch comme la bière, demanda : vous
avez des poèmes ?
je finis ma bière,
balançai la boîte sur le tapis,
rotai, montrai la
porte fermée du placard.
il l'ouvrit et une
montagne de papiers, de
feuilles
empilées, tassées et
fourrées là-dedans,
se déversa.
vous avez écrit tout ça, il
demanda.
récemment, je
répondis.
il sourit et eut une
crise de
lecture.
au fond du
placard était caché un
mannequin que j'avais acheté
chez un
brocanteur.
elle s'appelait Sadie et
était
très sexy...
environ une heure plus tard
mon visiteur repartait avec une cargaison de
poésie.
deux semaines plus tard
il téléphona, dit qu'il voulait
publier une plaquette ou deux de
mes œuvres et qu'il
me postait une
avance.
à propos, ajouta-t-il, vous
n'auriez pas un
roman ?
je vais vous en torcher un,
répondis-je...
je commençai l'après-midi même
et dans la soirée
j'emmenai Sadie
faaire un tour, la bazardai derrière
la maison de deux
vieux, rentrai et
me servis un grand scotch pour célébrer
ma nouvelle vie.
Sadie avait bouché un
trou
mais
en tant que professionnel
de la plume je
n'avais plus guère besoin de
telles activités
vides...
et il ne me fallut pas
attendre bien longtemps avant
que les vraies Sadie se mettent
à rappliquer, mais aucune
n'était
aussi gentille et calme que
l'originale
ni aussi facile
à bazarder
ou
à oublier
mais il est, naturellement,
beaucoup plus facile d'écrire
sur elles, ce que j'ai
fait.
CHARLES BUKOWKI
in "Le ragoût du septuagénaire" (page 247, Livre de Poche).