Terdav TWT, Saint-Jacques, 25e étape: sous les averses de Castille.
Publié le 19 mai 2012 par SylvainbazinCe matin, je ne me suis pas réveillé en très bonne forme. Pourtant mon auberge (glauque en apparence car composée de deux pièces presque sans fenêtres) s'était révélée plutôt calme et mes deux colocataires espagnols, qui ont entrepris le camino depuis Barcelone, sobres et discrets. Si j'ai mal dormi, c'est plutôt à cause du tonnerre qui m'a réveillé au milieu de la nuit. L'orage, qui menaçait hier soir, a été violent. L'étape de la veille a aussi sans doute laissé des traces. J'ai contracté en outre deux ampoules qui me gênent un peu. Je vais d'abords, clopin clopant, déjeuner dans une taverne déjà ouverte, tout près du beau monastère. Le serveur me dit que je lui fais penser à Forrest Gump... C'est vrai que mon apparence commence dangereusement à s'en approcher! Mon café, pain au chocolat et muffin engloutis, je reprends ma route. Mon guide décrit l'étape du jour comme une longue traversée qui longe plus ou moins la nationale. Je m'attends donc au pire, après l'expérience d'hier après-midi. Je suis donc plutôt agréablement surpris. La première partie du parcours, après une petite montée dans une foret de conifères, me replonge dans une campagne très semblable à celle de la Navarre. Collines cultivées, vastes champs verts, patchwork de blés. Mon esprit est un peu embué, mes jambes pas vraiment dynamiques. J'avance, régulièrement, mais sans grandes sensations. Je double bien entendu des randonneurs mais la file est bien plus clairsemée qu'hier. Beaucoup se sont sans doute arrêtés à Logrono, cette portion du chemin étant réputée bien moins agréable... Cette relative solitude ne m’embête pas; au contraire, je commençais à trouver le chemin un peu trop fréquenté. Là, je peux, me semble t-il, mieux me laisser aller à la rêverie. Dans l'état un peu vasouillard où je suis, c'est assez facile. La campagne un peu monotone tout de même est rythmée par quelques villages, pas toujours très coquets mais qui renferment en général au moins une belle église. Vers 10h, juste en quittant l'un d'eux, je suis un peu mieux réveillé par une lourde averse: c'est la première d'une belle série. Le sol, qui ressemble à de la latérite, est vite transformé en bourbier. Par endroit, c'est assez glissant et incommode. Santo Domingo, et son centre historique important, marque un peu la moitié de ma marche du jour. J'y arrive cependant un peu tôt pour déjeuner. Je me contente donc de regarder la façade de la cathédrale et d'errer un peu dans le quartier ancien avant de poursuivre mon chemin. J'ai assez envie d'arriver tôt afin de récupérer un peu. En plus, le temps n'invite guère à la flânerie. Une nouvelle averse, bien forte et plutôt froide, se charge de me le rappeler. La nature semble un peu alanguie par cette météo. Seuls les escargots, plutôt petits ici, sont de sortie. Un peu plus loin, planté dans la campagne, un panneau m’averti que j'entre dans la Province de Castille et Leon. D'immenses champs s'étalent devant moi, dans une campagne qui me rappelle l'Eure et Loire...la pointe d'une église, que j'aperçois à quelques kilomètres avant d'atteindre le village, me rappelle l'approche de la cathédrale de Chartres. Un jour, il y a déjà quelques années, j'avais marché une journée, de Rambouillet à Chartres, sur déjà le chemin de St Jacques, pour l'atteindre. A l'époque, cela m’avait plus ou moins servi de préparation pour l'eco-trail de Paris, mais finalement je me souviens aussi bien de cette sortie d'entrainement de 65kms que de la course. Les villages aussi me semblent avoir un petit côté "beaucerons"... Je repense, curieusement, à certains semi-marathons que j'ai courus, il y a longtemps déjà, dans ces décors d'Eure et Loire. Mon esprit se distrait un peu comme il peut... Parfois, cependant, l'océan vert qui s'étend autour de moi, et semble onduler en vagues de blés à travers les collines, est inspirant. Je me surprends à m’imaginer en navigateur sur ces flots végétaux... Le ciel, d'ailleurs, est tout à fait océanique. De violentes averses de pluie et de grêle, vite repoussées par un vent violent, se chargent de me rappeler que je ne suis qu'une frêle embarcation. Après une rapide pause déjeuner, je repars d'un pas un peu plus alerte à travers cette campagne. La piste longe principalement à nouveau la nationale mais le parcours n'est tout de même pas aussi triste que celui d'hier après-midi: il est ponctué de villages et parcourt la campagne. La route n'est pas si empruntée que cela. Tout de même, certaines lignes droites ne sont guère amusantes. Mon esprit s'évade encore. Le chemin se fait plus introspectif. Je repense à pas mal de choses, finalement. A tout ce chemin parcouru, déjà, vers St Jacques, aux bons moments, aux belles rencontres. A cette année 2012 déjà bien remplie, où j'ai vécu de très beaux moments mais aussi connu le regret, la désillusion et la tristesse, et puis à nouveau l'optimisme est revenu sur mon chemin. La sérénité du pèlerin, que je suis sans doute venu chercher en marchant ainsi, n'est peut-être pas si loin... En tous cas, en m’offrant ce voyage où je me sens à la fois hors du monde et complètement dedans, je pense toucher une voie vers un épanouissement personnel que je recherche tant. Ca, et d'autres choses qui viennent heureusement "troubler" ma vie, me font, semble t-il, marcher dans une bonne direction. Je double ainsi le village de Villamayor, et aussi quelques capes de pluies déployées sur des sacs à dos, avant d'atteindre, vers 16h, l'auberge réservée à Belorado. Le confort y est classique pour une auberge à pèlerin en Espagne. Ce n'est pas plein, mais il y a tout de même du monde. Dans l'immense salle de restaurant, je lie conversation avec Christian et Daniel, deux pèlerins français, venus de Sarthe et de la Loire. Tous deux sont retraités et ont entrepris ce voyage depuis début avril, du Puy et du Lot. Nous dinons d'un menu du pèlerin sans surprise en parlant du chemin, des gites et des bonnes tables, et de voyages, bien entendu... Je vais maintenant tenter de récupérer au mieux pour partir vers Burgos demain. Les abords de cette grande ville ne sont pas réputés très agréables pour le marcheur, je m’attends donc à nouveau à une journée où je vais me refugier en moi-même et tenter de trouver la force de marcher jusqu’au bout...