Amitié, feu du ciel, charme de ce bas monde,
Amitié de la terre, es-tu vraiment profonde ?
Au cap Tourmente, un jour, je m’étais hasardé
De grimper. Sans mourir, j ‘avais escaladé
L’un de ces monts hardis qui de nos Laurentides
Font comme un long ruban de vertes pyramides :
Déserts voisins du ciel, déserts frais et riants
Où mènent bien ou mal des escaliers géants.
Si près du firmament, à l’ombre, et sur la mousse,
Vous l’avez éprouvé, la rêverie est douce.
Les bluets étaient verts ! je laissai mon regard
Papillon philosophe errer loin au hasard.
Encadré de verdure, et souriant de joie
Comme un enfant couché sur des coussins de soie,
Un lac, miroir d’azur, dormait dans le lointain.
C’était un lac superbe, un féerique bassin.
À l’entour, des bosquets, la tête renversée,
Comme une autre forêt fraîchement nuancée,
Formaient silencieux, au fond, sous le flot noir,
Un mirage immobile et bien splendide à voir.
Le lac semblait profond. Voyez ce blanc nuage
Qui le traverse au loin, bien loin ! sa molle image
Comme en un second ciel vogue au fond du bassin.
De quelle profondeur est donc ton large sein,
Ô beau lac transparent ! Ô lac ! tu parais être,
Donnant sur l’infini, quelque riche fenêtre !
J’y descends. Je détache un canot de pêcheurs
Qu’embarrassaient un peu des nénuphars en fleurs.
Je détache, et je pousse.. Illusion magique !
Qu’était donc devenu mon petit Pacifique,
Si limpide, de loin, et surtout si profond ?
Mon aviron tout court en atteignait le fond !
Je pousse jusqu’au large, et même phénomène :
Ma nacelle d’écorce y flottait avec peine.
Ce bassin, cet abîme, un mirage réel !
Ce lac, de loin profond, profond comme le ciel !
Où vous eussiez à peine osé jeter la sonde,
Ce lac, mince et brillant, c’est l’amitié du monde !
Et qu’eût-il fallu faire, en effet, pour trouver
L’insondable infini que l’homme aime à rêver ?
Monter à ce vrai ciel, océan sans rivage,
Dont ce beau lac n’était qu’un miroir, qu’une image !
L’amitié d’ici-bas charme, pourquoi cela ?
De l’amitié de Dieu c’est un reflet voilà !
Hélas ! comme un reflet aussi de même est-elle
Mobile, très changeante, et superficielle :
Belle comme un reflet, d’un éclat chatoyant,
Mais, comme tout reflet, illusoire souvent !
N’enivrons pas nos coeurs de cette vive image :
Redoutons-la plutôt comme on craint le mirage.
L’amour du Christ ! voilà l’océan de cristal
Où doit s’abreuver l’homme altéré d’idéal !
Apollinaire GINGRAS (1847-1935), poète québécois.
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