Le tantrisme - au sens large - propose de guérir le mal par le mal. Mais qu'est-ce que le mal ? Certains parlent de s'éveiller de l'illusion de la séparation au moyen de l'illusion de l'éveil à notre vraie nature, d'autres proposent d'employer les images pour dépasser les images, etc. Mais d'autres, plus audacieux, évoquent la transmutation des émotions par les émotions elles-mêmes, ou encore une alchimie des sens par les sens.
Cette dernière approche est séduisante. Mais elle n'est pas sans risques. En particulier quand l'une des émotions invoquée est celle excitée par le charisme d'un maître. Un homme ou une femme charmants, éloquents, capables de parler à nos fantasmes de bonheur, de sensualité, d'écologie, de vie sociale dans un groupe fraternel, de rapport à la terre, aux racines, à l'imaginaire inconscient, à notre besoin viscéral de mythe, de dépassement des limites imposées par la société... Il faudrait être bien cynique pour rester de marbre à ces idéaux, à ces aspirations légitimes !
Le tantrisme est risqué. Mais donc, le tantrisme combiné à un culte de la personnalité comporte encore plus de dangers. Évidement, il s'agit de dangers d'un tout autre ordre que ceux des intégrismes et autres fanatismes. Les "tantristes" ne sont certes pas de tristes sires - on ne les voit pas se faire exploser aux quatre coins de la planète jour après jour. Bien au contraire, leur idéaux de réconciliation de l'esprit avec la matière, d'intégration et de générosité sont justes. Si je les critique, c'est donc dans la perspective d'un progrès possible. Ou plutôt, je me désole de tant de gâchis... Pour commencer, j'observe que la plupart des "maîtres" qui ont lancé des expérimentations tantriques sous forme de communautés ont connu des dérives de pouvoir. Car là est le problème central : le tantrisme est centré sur le pouvoir (shakti). Or le pouvoir corrompt.
Adi Da en est un cas passionnant. Écrivain remarquable, charismatique, il a entraîné bien des gens dans des aventures à la fois séduisantes et terrifiantes - mais le plus souvent ridicules. Muktânanda, Crowley, Gurdjief, Cohen, Osho et même Wilber et tant d'autres... Voyez cette liste. Tous sont tombés dans les même travers : abus de pouvoir, argent.
Je ne condamne pas ici les abus sexuels ni "sectaires". Pourquoi condamner le sexe et célébrer la violence, comme le font toutes les religions à des degrés divers ? De plus à mes yeux toutes les organisations religieuses ou spirituelles ou autres (partis, clubs, entreprises, administration) sont des sectes en puissance, sinon en acte. Tout groupe tend en effet à se constituer en secte. L'identité sectaire est au groupe ce que l'égoïsme est à l'individu. Il n'y a donc pas de réelle différence entre religion et spiritualité. Seulement une différence d'échelle. Un groupe spirituel est une "petite" secte. Un groupe religieux est une "grosse" secte. Il y a des seuils au-delà desquels les phénomènes de replis, de dogmatisme se révèlent et cristallisent inévitablement sous forme de violence physique ou mentale. Il me semble qu'au-delà d'une centaine d'individus, une "personne" (au sens de personne juridique, par exemple) se forme qui met tous les moyens en œuvre pour défendre son identité contre les autres personnes, les autres sectes.
Un cas peu connu en France est celui de Michael Roach. Moine dans la tradition tibétaine guéloukpa, il obtient le titre de "docteur" (géshé) en bouddhologie. Puis il fait fortune dans le diamant et défraie la chronique en se mettant en retraite "de trois ans" avec une belle yoginî, Chistie McNally. Comment résister à ce beau visage d'Athéna tantrique ? Toujours le sourire aux lèvres, éloquente, habile à faire savourer la méditation, on la pare de tous les titres, de toutes les qualités. Se réclamant d'une tradition vénérable, elle a le courage de secouer les vielles habitudes pour revenir à l'esprit des origines. Que demander de plus ?
Pourtant, tout cela n'est qu'apparence. Si l'on gratte ce beau verni, on découvre que ces affirmations sont sans fondement. Tout repose sur le charisme, le bagout. Elle et Roach n'ont jamais traduit de textes sanskrits ou tibétains. Les projets qu'ils ont mis en place sont bidons. Il y a quelques années, la yoginî McNally a quitté Roach pour se marier avec l'un de leur disciple, Thonrton. Ils publient un livre sur le yoga sensuel à deux.
Puis dans leur retraite, ils se disputent violemment, à plusieurs reprises. Avec un sabre japonais semble-t-il, "lama" McNally blesse assez sérieusement son mari et se justifie dans une lettre aussi longue que confuse. Priés par la communauté d'aller voir ailleurs, ils partent en retraite dans les montagnes. Il y a quelques semaines, la police reçoit un appel de détresse de McNally. Les secours arrivent trop tard. Thornton est mort - littéralement - de soif. McNally est en piteux état. Voyez aussi la lettre de Roach. Il y aurait beaucoup à dire. Ce n'est pas le lieu ici.
Peut-on échapper aux abus de pouvoir dans les groupes spirituels ou religieux ?
Pour nous détendre après ces dures réflexions, voici le Guignol du Tantra 2012, encore une fois attribué à Swami Nithyânanda pour - entres autres exploits sublimes - cette brillante démonstration de "vol yogiquo-kundalinien". Du grand art. L'arnaque nithyanandienne est d'autant plus grave qu'elle apporte de l'eau au moulin des misogynes, sexistes et autres phallocrates puritains, car bien sûr il ne s'agit pas ici de se moquer ou de condamner l'image de femmes en transe :