A la recherche de l’Eve mitochondriale: quand l’ADN(mt) nous parle de nos origines

Par Kokiri081187 @DENISLaurent

L’histoire du monde peut s’expliquer de tant de façons…certains se plongent dans la lecture de livres anciens, d’autres fouillent la terre à la recherche de vieux objets ou pour mettre au jour des vestiges enfouis. Et si les réponses étaient aussi en nous ?

Non, ce n'était finalement pas une pomme !

A la naissance, nous héritons de deux jeux de chromosomes, l’un maternel et l’autre paternel. Ces chromosomes sont constitués de ce qu’on appelle l’ADN nucléaire (nucléaire, car les chromosomes sont contenus dans le noyau de nos cellules). Lors de la méiose où nos gamètes sont formés, ces jeux de chromosomes sont mélangés : notre descendance hérite ainsi aléatoirement du matériel chromosomique transmis initialement par nos parents. L’information génétique portée par l’ADN nucléaire est donc « brassée » à chaque nouvelle génération. De plus, cet ADN subit un certain nombre de variations lors de sa réplication, si bien qu’il serait relativement difficile pour un individu de retrouver à qui de sa famille ancestrale appartenait tel ou tel de ses gènes.

Par ailleurs, nous héritons également d’un autre type d’ADN, contenu dans des organites appelés mitochondries (les « centrales énergétiques » de nos cellules) : l’ADN mitochondrial, ou ADNmt. Celui-ci est bien plus court que l’ADN nucléaire, bien plus stable, et, point essentiel : il est seulement transmis par la mère. Contrairement à l’ADN nucléaire, la transmission de l’information portée par l’ADNmt se fait ainsi de façon linéaire. Autrement dit, vous avez le même ADNmt que votre arrière-arrière-arrière grand-mère maternelle.

Au final, jusqu’où pourrait-on remonter comme cela ? Qui était notre « Eve mitochondriale » ? C’est à cette question originale que Bryan Sykes, professeur de génétique à l’Université d’Oxford a tenté de répondre. En analysant l’ADNmt de plusieurs milliers d’Européens, ce spécialiste de l’ADN ancien a mis en évidence qu’il existait sept grands groupes d’ADNmt au sein des populations européennes, auxquels plus de 95% des Européens appartenaient : on parle ici d’haplogroupes de l’ADNmt. Il explique ses recherches dans Les Sept Filles d’Eve, un gigantesque arbre généalogique de nos origines. C’est tout simplement passionant, on se sent tour à tour l’âme d’un généticien, d’un historien, d’un anthropologue ou d’un détective voyageant à travers le temps d’une page à l’autre. Après plusieurs chapitres dédiés à une meilleure compréhension de l’ADNmt lui-même, et abordant également certaines de ses découvertes liées à l’analyse de l’ADN ancien, Bryan Sykes nous explique les particularités de chacun de ces haplogroupes. Ceux-ci auraient simplement pu porter un numéro d’identification classique, mais là où le livre est aussi en partie romancé, c’est que l’auteur a donné une identité propre à ces groupes, à travers le symbole de sept femmes, les sept filles d’Eve. Il nous conte ainsi quelle aurait pu être la vie de Tara ou de Jasmine, où vécurent Ursula et Xenia, ou bien que Helena est celle qui eut la descendance la plus grande. Un peu gnangnan le coup de la grand-mère préhistorique, n’est-il pas ? Plus d’une fois j’ai pensé qu’il s’improvisait peut être trop romancier…mais c’est finalement assez bien réussi, alors pourquoi pas.

41% des Européens font partie de l'haplogroupe H (Helena), 12% du J (Jasmine), 11% du U (Ursula), 10% du K (Katrine), 10% du T (Tara), 7% du X (Xenia), 4% du V (Velda).

Non, ce qui est surtout discutable, c’est qu’il existe désormais tout un business et folklore autour de nos origines maternelles. OxfordAncestors, une entreprise justement créée par Bryan Sykes, gravite par exemple autour de tout cela. En leur envoyant votre ADN grâce à un kit qu’ils vous auront au préalable fourni, ils vous diront laquelle des sept filles d’Eve était votre ancètre. Je suis du coup tombée sur des discussions complètement improbables dans des forums de généalogie génétique, où les gens s’affrontaient entre clans (du genre, clan Tara VS clan Helena), dans une ambiance certes bon enfant, mais où j’ai imaginé le scénario catastrophe de la naissance d’une nouvelle forme de discrimination (une de plus !) : le mitochondrisme. Alors non, non, et non. De mon point de vue, si j’avais quelques centaines d’euros dont je ne saurais que faire, je trouverais honnêtement drôle et ludique de connaître mon clan mitochondrial…j’espère juste que chaque ADN envoyé à OxfordAncestors l’est avec ces mêmes motivations.

Et puis de toutes façons, en considérant que l’origine des mitochondries est bactérienne, notre vraie Eve mitochondriale était stricto sensu une bactérie. Alors pas d’Ursula ni de Xenia, pour moi ça sera Bacteria. Dans tous les cas, quel que soit votre avis sur ce type de business, si vous vous intéressez un tant soit peu à la génétique des populations et à l’anthropologie, Les Sept Filles d’Eve est à lire absolument !

(pour aller plus loin sur les haplogroupes européens : Eupedia)