Debout sur la frontière de deux mondes au terme du long enfouissement d’hiver
Un pied sur le plateau d’hier, l’autre sur le soleil levant
Je cherche ce que doit chercher tout homme qui se veut, enfin, juge de soi et de sa race.
Face au féroce affrontement de deux barbaries tutélaires :
Je pose le plomb des années, les siècles noirs ceints de la corde
J’oppose le poids des vergers, troués du vent des galaxies
Déjà cogne le balancier, affolé devant la sentence :
« Ceci est bon, qui m’est connu. Cela est mauvais, que j’ignore »
Et si je regarde le ciel, j’y vois crayonner l’asphyxie
Et si je pioche dans la mer, j’ouvre le mazout et la houle.
À Ravenne, où fut l’Occident, un oiseau tombe foudroyé pour avoir empenné d’un vol les bas brouillards de l’industrie
Que pèsera cet oiseau mort contre un quotidien difficile ?
Le siècle use de ses pouvoirs, emploie le poison et le fer
Tels des tyrans de bas empire, nous souillons en l’escaladant le trône courbe de la terre
Et qui préférerait Byzance au ciment du prolétariat ?
L’ombre de la Portinari aux tours de la pétrochimie
Ou même Galla Placidia aux lyres de la haute tension ?
Le règne est déjà révolu de la beauté au fin visage
Beauté payée de coups de fouet, de crachats, de hontes d’esclaves.
Notre époque a des jets d’acier mais ses machines, quelquefois, ont des déhanchements superbes
La misère souille l’été : enfants maigres, vos yeux de faons nourrissant l’essaim bleu des mouches
Les toxines épaissies dans l’air font obstacle au vent des forêts.
Oserais-je mettre en question un cadavre boulu d’oiseau contre l’amandier d’un visage ?
Je pense au lait trait dans le thym, à l’innocence des eaux pures
Je pense aux pluies du petit jour marchant, pieds nus, sur les troupeaux.
Luc BÉRIMONT (1915-1983).
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