Vers quelle régulation bancaire ?

Publié le 18 mai 2012 par Unmondelibre
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Parallèlement aux avancées dans l’élaboration de Bâle III, l’annonce de la perte de deux milliards de dollars chez JP Morgan Chase au début du mois de mai a relancé le débat sur la stratégie à suivre pour discipliner les banques. Vers quelles voies se diriger ?

Davantage réglementer ?

D’aucuns prônent une réglementation toujours plus stricte, le système n’étant pas assez régulé.  La régulation d’un système est le mécanisme qui permet de faire en sorte qu’il fonctionne de manière durable en atténuant ses excès. La réglementation, qui est un ensemble de textes contraignants entourant la pratique d’une activité, permet-elle une bonne régulation?

La réglementation bancaire, avant la crise de 2007 aux Etats-Unis par exemple, était très largement développée, contrairement aux idées reçues (1). Elle n’a pas  joué son rôle de régulation pour plusieurs raisons. En premier lieu la réglementation est en partie produite par les professionnels dont l’activité est réglementée, ce qui laisse la part belle à la capture réglementaire du régulateur par les régulés. Deuxièmement, la complexité de la réglementation et son caractère nécessairement non exhaustif permet le contournement réglementaire, ou plutôt le contournement de l’esprit de la réglementation, mais « le respect de la lettre ». Enfin, la multiplication des agences de réglementation a ouvert la porte à l’arbitrage réglementaire : les professionnels réglementés se tournent vers l'agence offrant la réglementation la plus avantageuse pour eux.

Faut-il mieux réglementer les ratios prudentiels (l’idée de Bâle III) ? Mais qui peut savoir quel est le niveau le plus approprié ? Pourquoi devrait-il être le même pour tout le monde ? Accroître le degré de détail réglementaire pour l’évaluation du risque permet-il de réellement réduire les risques ?

En réalité, produire des milliers de pages supplémentaires de réglementation ne mettra pas fin à ces limites, que cela soit avec la loi Dodd-Frank aux USA ou avec Bâle III au niveau international. Cela aura même plutôt tendance à logiquement accentuer ces limites.

Séparer les activités ?

Faut-il donc se concentrer sur une interdiction simple et séparer les activités d’investissement et de dépôt comme le préconise la « règle Volcker », du nom de l’ancien patron de la Fed ? De ce fait les activités de « casino » ne seraient pas financées par les dépôts des épargnants, qui ne seraient pas mis en danger. Cette option est partagée par de nombreux économistes, de Nourriel Roubini aux USA au très libéral Charles Gave en France.

L’activité principale du banquier est la transformation : les dépôts de court terme des déposants permettent de financer des crédits à long terme. Cette transformation est possible d’abord parce que tous les déposants ne retirent pas leur argent en même temps et ensuite parce que les banquiers sélectionnent les risques : la discrimination (des bons des mauvais risques) est en réalité leur métier.  Lorsque les banquiers peuvent faire à la fois du dépôt et de l’investissement, le domaine de la transformation s’élargit, leur surface financière s’accroît, leur permettant pas simplement d’empocher davantage de profits mais surtout de rendre plus de services à leurs clients. Au-delà du problème de définition entre activité spéculative et non spéculative, la règle Volcker aurait donc comme inconvénient de réduire grandement ces avantages d’une transformation accrue. Et le risque dans les activités traditionnelles de transformation pourra-t-il réellement être contenu ? La course aux profits rapides dans ces banques de dépôts n’inciterait-elle pas aussi à accorder des crédits trop facilement ?

Des banques trop grandes ?

Pour d’autres analystes, c’est essentiellement le Too big too fail qui fait problème et ils proposent ainsi de « casser » les banques (2) qu’ils jugent trop grandes. Cette idée se heurte cependant à la connaissance et à la définition de la « bonne » taille.

Faut-il des banques « petites » ? Le rôle d’une banque est aussi de diversifier le risque, et pour cela il lui faut une taille conséquente. Or, pour des banques petites cette diversification est bien plus difficile. Dans la crise actuelle, la restructuration des banques s’avèrera même parfois essentielle pour gagner en efficacité.  Il ne s’agit pas ici de défendre les grandes banques qui peuvent être des diplodocus bureaucratiques à la gouvernance incontrôlée, mais de se méfier aussi de l’idée du Small is beautiful. (4)

Changer de paradigme

On le comprend, dans tous les cas, le problème d’une régulation défaillante ne sera pas résolu par ces solutions réglementaires. Il s’agit alors de changer de paradigme de régulation et de se diriger vers une régulation par la responsabilisation des banquiers, en reconnaissant qu'ils sont les plus aptes à gérer leurs affaires dans ce cadre. Mais cela suppose plusieurs choses.

- On l’oublie trop souvent, une bonne part des erreurs des banquiers vient des relations incestueuses entre pouvoir politique et économique : Community Reinvesment Act aux USA demandant aux banquiers de ne plus faire leur travail de discrimination des mauvais risques ; PDGs des banques françaises qui reçoivent bien souvent leurs ordres du pouvoir. Il faut y mettre un terme. La logique économique n'a pas à être polluée par la logique politique.

- Il faut stopper les sauvetages bancaires par de l’argent public. L’aléa moral créé ici est en effet une réelle prime à la mauvaise gouvernance, et ce d’autant que les clients n’ont pas à réellement se soucier de la gestion – ils seront remboursés. Ne pourrait-on réfléchir à évoluer vers un système un peu comparable à de la vraie réassurance privée, dans laquelle les réassureurs ont une incitation à contrôler strictement leurs assurés ? Là aussi il faut couper le lien entre politique et banque : qu’un secrétaire au Trésor US ne puisse plus faire « sauver » son ancien employeur.

- La politique monétaire ne doit plus être faite « pour les banquiers ». Les LTRO en Europe ont permis de réinjecter de la liquidité dans un système bancaire fragilisé par des années de mauvaise gestion. Bien sûr il y a l’urgence, mais la perpétuation de ce genre de politique monétaire « d’urgence » ne fera que renforcer, ici encore, l’aléa moral des banquiers.

- Le fait que les grandes banques soient gérées par des managers indélicats pose la question du rôle des actionnaires et de la structure juridique de la banque en termes de responsabilité et de l’impact de cette dernière sur la gouvernance. Les banques familiales par exemple n’ont pas connu la crise récente : les actionnaires familiaux ayant un intérêt dans l’affaire, ils ne se sont pas risqués dans les actifs douteux car ils jouent avec leur propre argent. Quand un manager d’une grande banque cotée en bourse  joue en revanche avec l’argent des autres et que son jeu dangereux lui permet d’engranger des millions s’il gagne son pari et de ne rien perde personnellement ou presque s’il fait perdre le pari à sa banque (4), son incitation à prendre des risques inconsidérés est très claire.

Il faut ainsi redonner son caractère véritablement capitaliste (5) aux banques, en liant propriété et responsabilité, et repenser les règles de cette dernière pour les renforcer. La responsabilité est la boussole, la régulation première du système capitaliste : on ne peut en faire l’économie. Il n'est cependant pas certain que les lobbies bancaires et les politiques aient un intérêt à ce type de responsabilisation...

Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org - Le 18 mai 2012.




(1) Voir Mark Calabria « La dérèglementation est-elle à l’origine de la crise ? », disponible ici : http://www.unmondelibre.org/Calabria_dereglementation_etude

(2) Arnold Kling, « Once again, break up the banks », National Review, 15 mai 2012, disponible ici : http://www.cato.org/publications/commentary/once-again-break-banks

(3) Aux USA, la loi bancaire de 1864 a en quelque sorte indirectement institutionnalisé la « petite banque » par des restrictions sur la capacité d’une banque à avoir des branches ou même l’interdiction d’avoir plus d’une agence (le « unit banking »). Les USA avaient ainsi une myriade de petites banques (et quelques grandes banques locales). Si un ou plusieurs de leurs gros clients (qui plus est, spécialisés dans le même domaine ou fortement liés, du fait de la proximité géographique) connaissaient des problèmes, c’était la catastrophe. C’est aussi la leçon, trop souvent oubliée, de la Grande dépression : le système réglementé américain interdisant les grandes banques nationales connaît 20 000 faillites bancaires. Le système canadien non réglementé de la sorte, permettant des banques nationales diversifiant leurs risques, ne connaît pas de faillite bancaire.

(4) Russel Roberts (2011) « Gambling with other people’s money », Mercatus study, disponible ici : http://mercatus.org/publication/gambling-other-peoples-money

(5) Voir Pascal Salin (2011) : Revenir au capitalisme pour éviter les crises, Odile Jacob.