[anthologie permanente] Gérard Noiret (choix d'Ariane Deryfus)

Par Florence Trocmé

florence j. 
 
Chaque soir, ses vêtements sur le balcon, 
elle plonge dans le crépuscule. 
Sans fin, elle nage entre les perches 
des filets que relèvent à marée basse les pêcheurs. 
Et quand sa mère se désespère 
ou que les dernières fenêtres s’éteignent 
dans un contexte de neige fondue, 
riche de tous les mouvements possibles ou imaginables, 
elle regagne sa peau.  
 

 
anonyme 
 
Elle se souvient d’un tas de choses 
dont elle ne se souvient pas vraiment. 
Elle n’a tenu aucune des promesses 
d’une allure qui faisait d’elle une élève miraculeuse. 
Maigre du visage, des bras et des jambes, 
les joues aussi fripées que ses cheveux 
sont en baguette de tambour, elle a perdu 
ces yeux qui interrogeaient. 
Ils lui servent maintenant 
à contempler dans la file le dos qui la précède.  
 

 
près du flipper 
 
Jeunes mecs autour d’une bière, 
mutiques et anguleux comme si leur âme 
avait quelque chose d’un bois tordu. 
Avec des épouses le menton 
sur des poignets d’une autre planète, 
cette race de mâles peuple les villages, 
construit des charpentes, 
remplit des caddies et vous indique le chemin 
avec des tournures révélatrices 
d’une intégration parfaite à nos mœurs. 
Pourtant, que la chasse reprenne et elle redevient 
capable de tout, notamment d’abattre 
un chien fidèle ayant perdu l’odorat.  
 

 
crypte 
 
Époux l’un contre l’autre endormis, 
aussi parfaitement sereins 
que si toujours ils avaient joui ensemble, 
que si l’éternité était un sommeil. 
Émus, des amoureux sortent au grand jour. 
Les tulipes, les pivoines manifestent une attente… 
Ils sont des comédiens qui vont reprendre le rôle 
et se demandent comment faire mieux. 
 
Gérard Noiret, Autoportrait au soleil couchant, partie sous la signature de Viviane Ledéra, p.63, 64, 78 et 79, éditions Obsidiane, 2011. 
 
 
[Choix d’Ariane Dreyfus] 
 
Gérard Noiret dans Poezibao :  
bio-bibliographie, ext. 1, autoportrait au soleil couchant (A. Emaz)