Poezibao publie en feuilleton Le Retour d’Arkadina, une pièce de Liliane Giraudon, en 13 épisodes. Voir icil'avertissement de Liliane Giraudon. (épisodes précédents : 1, 2, 3, 4, 5, 6)
Pas d’hésitation.
Aucune déperdition.
Je dessus Toi dessous
Suce-moi debout.
Elles jouissent.
Sans entraves.
Vent frais, temps clair.
Parfois un nuage passe sur le lac.
Quelqu’un dit :
Quel plaisir, recommençons.
Encore et encore.
Nous avons tout le temps pour nous.
D’autres s’y mettent.
Ils le font. Ils respirent.
Phrases toutes simples.
Bouches délicates.
Tout le monde connait parfaitement son texte.
Trigorine a-t-il reçu sa lettre ?
On m’a dit qu’il a beaucoup changé…
Même ses goûts sexuels ont évolué.
Comme le temps passe chez vous…
Et les petits déjeuners ?
Et les journaux du matin ?
Et les théâtres ?
Macha a-t-elle quitté son mari ?
A-t-on retrouvé les assassins de la femme de Meyerhold ?
Égorgée je crois…et ils lui ont arraché les yeux.
Mais dans l’appartement rien n’a été pris.
On n’a touché à rien.
On parle de la tchéka.
On parle de beaucoup de choses dont on dit qu’il ne faut pas parler.
Une mouette n’est pas un choucas.
Et les boutons de fleur des genres ont-ils disparus de la langue ?
Qui a donc décidé que c’était l’année de la Russie ?
La Russie existe-t-elle encore ?
Et la littérature ? Est-elle encore dans les livres ?
Que de questions !
Et comme le temps passe !
Impossible de rester plus longtemps
Pardonnez-moi ma chère
J’ai promis à Sorine une partie de loto…
(elle s’enfuit, laissant après elle une chaussure…
Nina prend précautionneusement la chaussure entre ses mains, la regarde longuement, la renifle et la renverse. Du sang se répand sur la scène.)
Alias Trigorine :
J’écris ce que j’écris. Et rien d’autre.
On ne choisit pas ce qu’on écrit.
Pas plus que ce qui vous fait jouir.
On peut se tromper d’objet.
Critique de la fausse richesse contre critique de la fausse pauvreté.
Les pratiques de ma vie avec les autres ?
Spirale de la violence c'est-à-dire défiance réciproque.
Défiance incontrôlée. Défiance incontrôlée sur visage invariable.
C’est un point de vue trivial. Élémentaire.
Comme chez certains la théorie du rythme.
Ça m’a toujours suivi. Arrosé chacun de mes textes.
Donner le change a été facile. Je suis un besogneux.
Ma réputation s’appuie sur les femmes. Et mon endurance.
Esclave cardiaque, comme elles, je peux tout endurer.
Cors aux pieds, trahisons en direct, fausses couches…
De quoi il s’agit ?
Pourquoi Stanislavski met si longtemps à comprendre ce que lui sert Tchékhov
à propos du personnage qu’il vient d’interpréter ?
« Vous jouez admirablement mais ce n’est pas mon personnage. Je n’ai jamais écrit ça. »
Tchekov répète : « je n’ai jamais écrit ça » et quand Stanislavski lui demande de s’expliquer, la seule réponse est :
« Trigorine porte un pantalon à carreau et des souliers troués ».
Ici, le spectateur qui ne sait pas qui est Stanislavski décroche.
Et pour ajouter un peu plus d’obscurité Tchékhov précise que Trigorine fume son cigare de manière totalement ridicule.
Il fait même le geste.
Tchékhov fait le geste.
Stanislavski regarde le geste de Tchekhov tirant bêtement sur un cigare et ne comprend toujours pas.
Monsieur non plus. La fille qui est à côté de lui se demande ce qu’elle fout là.
Il mettra six ans à comprendre.
Stanislavski mettra six ans à comprendre que ç’avait été une connerie de jouer Trigorine en petit dandy avec pantalons blancs et souliers « bain de mer »…
Ma force à moi c’est que j’ai toujours su qu’en toutes circonstances je portais des pantalons à carreaux.
(Il saute à cloche pied le jeu d’une marelle imaginaire.)
Tennis. Raté. Short blanc. Tennis. Raté. Short blanc.
Falsification de la pratique de l’art par la théorie.
Ici la fille qui était à côté de celui qui ne sait toujours pas qui est Stanislavski prépare sa sortie.
suite (8) le lundi 21 mai 2012