Suite de mon cours de philosophie sur l'idéalisme
Lundi 21 mai à 19 h à Paris: renseignements : [email protected]
Sujet du cours: L'idéalisme bouddhiste de Vasubandhu
Nous étudierons les principales thèses de Vasubandhu à partir de trois traités : la Vingtaine et son autocommentaire, la Trentaine, et le Traité des trois natures.
On peut lire ces textes dans la traduction du tibétain qu'en a donnée Philippe Cornu. Je proposerai également ma traduction du sanskrit.
l'éléphant magique
Dans le Trisvabhāva-nirdeśa, dans les sh�loka 27, 28, 29 et 34 Vasubandhu utilise la métaphore d'un éléphant magique qui apparaît grâce à l'incantation d'une parole (le mantra) pour rendre compte du pouvoir illusoire et créateur de la conscience :
« De même qu'à partir du pouvoir du mantra, au moyen d'une forme, apparaît un éléphant fait d'illusion, il n'y a là qu'une apparence, mais l'éléphant en aucun cas n'existe. »
« L'éléphant est la nature fabriquée, la nature dépendante en est la forme
ce qui est là l'absence d'éléphant c'est cette nature parfaite »
« C'est ainsi que la fabrication irréelle apparaît, au moyen de sa dualité, à partir de la conscience racine,
la dualité ne provient pas de ce qui est au-delà d'elle, là n'existe qu'une forme. »
« La non-perception de l'éléphant et la disparition de la fabrication de l'éléphant
et la perception du morceau de bois (se produisent) simultanément dans l'illusion magique. »
Cette référence à l'éléphant se rencontre dans de nombreux textes de Vasubandhu par exemple dans le commentaire au traité d'Asanga Mahāyānasutrālamkāra où on peut lire (dans la traduction résumée de Stephen Anacker):
« Le morceau de bois que le magicien a devant lui dans un spectacle magique tandis qu'il prononce le mantra pour le faire apparaître de manière différente est comme la nature dépendante quand elle est construite. L'éléphant qui apparaît où le bois est vraiment est comme la nature construite. »
« La dualité est construite à travers l'illusion d'un objet appréhendé, comme un éléphant créé de manière magique .»
De même dans le Dharmadharmatāvibhāgavrtti de Vasubandhu on lit (toujours dans la traduction de Stephen Anacker):
« Comment peut-il y avoir une apparence d'une inexistence en place d'une existence.
Comme dans le cas d'un éléphant vu dans un spectacle magique. C'est la construction de ce qui n'était pas qui fait apparaître une inexistence comme une existence, et cette apparence de l'inexistence comme existante est la définition caractéristique de l'illusion. Sans l'apparence de l'inexistence comme une existence, il ne peut y avoir aucune illusion et sans illusion il ne pourrait y avoir aucune libération de l'illusion. » »
Pour rendre claire la signification des trois natures et la relation qui les unit, Vasubandhu compare les trois natures avec la création magique de l'illusion d'un éléphant. Un magicien, avec l'aide de mantras, crée une représentation, une idée, une connaissance dans l'esprit du spectateur. Cette représentation etc. créée dans l'esprit du spectateur est ce que le texte désigne avec les mots ' Māyā-k�ritam ' (fait par magie), 'ākāra' 'ākrti' (forme, apparence). L' ākāra qui est produit dans l'esprit du spectateur a comme contenu ou objet l'image illusoire d'un éléphant créée par magie. La seule chose que nous avons dans ce cas est l'ākāra, la représentation, l'idée d'un éléphant, qui n'est pas un éléphant réel.
L'éléphant correspond à la nature fabriquée, c'est-à-dire à la dualité du sujet et de l'objet. Sans dualité la nature dépendante ne pourrait se manifester elle-même. Ce que la magie produit , la représentation qui apparaît dans l'esprit du spectateur correspond à la nature dépendante; l'éternelle inexistence d'un éléphant réel dans le spectacle magique signifie la nature absolue, qui est l'éternelle absence de dualité. Le mantra correspond à l' ālaya-vijñāna , c'est-à-dire à la puissance de certaines imprégnations latentes qui en se réactualisant produisent l'illusion de dualité. La pièce de bois qu'utilise le magicien représente ici la réalité ultime tathatā l'Ainsité sur laquelle l'esprit ignorant vient surimposer une dualité fausse.
Dans cette interprétation, aucune réalité extérieure à l'esprit ne se donne au spectateur; tout se joue au sein même du théâtre de la conscience qui, comme une magicienne, produit des apparences et se trompe elle-même.