Si la curiosité l’a à l’époque emportée sur le scepticisme, je n’en remercierai jamais assez le garçon de 20 ans que j’étais alors. Car Lagaan a été une révélation, une proposition de cinéma iconoclaste et enthousiasmante qui n’a pas eu de mal à se détacher tant le film ne ressemblait à rien de ce que mes racines culturelles et mes attentes cinéphiles pouvaient être alors. Bollywood n’a plus été cette simple utopie et a pris forme à mes yeux, ainsi qu’à ceux d’une pincée de distributeurs français qui ont cru qu’il y avait peut-être, finalement, de la place pour cet autre cinéma indien en France. S’en est alors suivie une parenthèse enchantée dans les salles hexagonales, quatre années qui ont vu fleurir les films Bollywoodiens dans les cinémas gaulois.
Fleurir est un terme qui peut sembler quelque peu galvaudé si l’on jette un œil sur le nombre de films indiens qui sortent en Grande-Bretagne, mais comparé à ce qui sortait avant et à ce qui sortira ensuite, « fleurir » n’est pas un terme inadéquat. « Devdas », « La famille indienne », « Swades » et quelques autres vont à cette période colorer les écrans français de mille feux et émotions. Leurs chants et danses enchantent, leur sens excessif du mélodrame amuse et bouleverse, et en l’espace de quelques films on en vient à comprendre pourquoi Shah Rukh Khan, Kajol, Rani Mukherjee et les autres acteurs locaux sont vénérés en Inde.
A l’évidence, les distributeurs n’ont pas trouvé leur compte au box-office. Le taux de remplissage des salles programmant les films étaient plutôt bons, mais aucun n’a semblé en mesure de dépasser le carcan de la curiosité que représentait le genre aux yeux des spectateurs français. Les rares films à avoir eu la chance d’être distribués en France ces cinq dernières années étaient soit trop fades (Sawaariya) soit trop occidentalisés (« My name is Khan »), tout en restant trop confidentiels, pour espérer relancer la flamme.
Alors quoi, les distributeurs français auraient totalement abandonné l’idée de faire entrer les saveurs indiennes kitsch mais réjouissantes de Bollywood dans les mœurs cinéphiles françaises ? N’y voient-ils plus aucun potentiel et croient-ils que la parenthèse enchantée de 2002 à 2006 a prouvé que les spectateurs français étaient allergiques à ce cinéma coloré ? N’ont-ils pas vu les têtes des gens à la sortie des salles ? N’ont-ils pas entendu le bouche-à-oreille se propager ? Je ne connais pas un seul sceptique que j’ai réussi à envoyer voir un de ces films qui n’en soit revenu conquis. Mon prosélytisme a eu un taux de réussite de 100%.
Aucun film né de l’industrie Bollywoodienne n’est parvenu jusqu’à nos écrans depuis « My name is Khan » il y a deux ans (et encore, le film est une coproduction américaine). Dix ans après les promesses de Devdas et Lagaan, tout semble donc à réessayer et reconstruire. J’attends avec impatience le(s) distributeur(s) qui aura cette audace.