Extrait: pages 146-147
André Asséo - Si tout le monde admet qu'Aragon fut un grand poète, on peut cependant être gêné - même dans La Valse des Adieux - par tous ses mensonges, en particulier sur le plan politique.
Jean-Louis Trintignant - Ce qui est bouleversant dans ce texte, c'est qu'il en parle. Il reconnaît certaines de ses erreurs. Il était stalinien, et même s'il savait une quantité de choses que nous ignorions, il restait avant tout communiste. "La fin justifie les moyens." Ce dogme justifie l'attitude d'Aragon.
A. A. - Tu ne penses pas que la responsabilité de l'intellectuel est plus grande que celle exprimée par qui que ce soit d'autre ?
J-L. T. - Je trouve intéressant que ses idées politiques aient guidé Aragon vers une poésie d'autant plus belle qu'elle était nourrie d'opinions profondes, même si elles sont contradictoires. Je trouve l'écriture de Proust magnifique, mais il nous raconte l'histoire d'une bourgeoisie décadente. Personnellement, je préfère Céline, même si ses idées politiques me choquent. Voyage au bout de la nuit remue des sentiments et des idées qui me bouleversent. Et pourtant Céline était sûrement un type détestable, humainement. Si nous avions connu Rimbaud, nous l'aurions certainement trouvé insupportable, sa poésie n'en demeure pas moins magnifique. Il faut différencier l'oeuvre du créateur. Comment se comportaient dans la vie Picasso, Bach, Molière, Van Gogh ? Est-ce vraiment important de le savoir ? André Gide aussi fut communiste.
A. A. - Il n'a pas défendu le goulag, ce qu'Aragon a fait !
J-L. T. - C'est un peu comme le "Pari" de Pascal. Il y a une chance sur mille que Dieu existe. Ce serait la plus belle chose qui puisse arriver. Il vaut donc mieux jouer cette seule chance sur mille et laisser les neuf cent quatre vingt dix neuf autres qui n'ont pas d'intérêt. Je pense que le communisme, c'est ça ! Il était impensable que cette doctrine puisse triompher, mais s'il avait existé la moindre chance de réussite, ça aurait été tellement plus beau que toutes les autres idées politiques et économiques. C'est pour cela que j'ai pensé communiste. Cette idée me plaisait parce qu'elle représentait la solution, et même si je doutais qu'elle fût réalisable maintenant, elle valait la peine d'être"défendue.
A. A. - Ne trouves-tu pas que vingt millions de morts pour parvenir à cette solution est un prix un peu lourd à payer ?
Jean-Louis Trintignant - Tu as raison, nous ne sommes pas prêts à être communistes. Pas encore, c'est trop tôt ! ...
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Posté par Alaindependant à 20:39 - Communismes - Commentaires [1] - Rétroliens [0] - Permalien [Tags : aragon, art, communisme
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