Ce matin j'ai encore battu mon record de départ matinal; pas totalement de mon fait d'ailleurs: autour de moi, ça a commencé à bouger vers 5 heures, puis une demi-heure plus tard les conversations (la plupart dans des langues germaniques...) allaient bon train. La nuit fut donc encore assez courte. Le sommeil, la nourriture et la récupération seront sans doute des points cruciaux à gérer pour moi en Espagne. En effet, mes hébergements seront sans doute pour la plupart des auberges dans ce style. Les dortoirs de quinze à trente place ne peuvent garantir un sommeil très réparateur, à moins d'être un dormeur que le bruit ne gêne pas... ce qui n'est pas trop mon cas. Bref, je changerai peut-être quelques nuits en auberge pour des chambres d'hôtel quand la fatigue sera là. Car si la rusticité ou le confort spartiate (ce n'est d'ailleurs pas le cas de ces auberges: les sanitaires sont très propres, les lits très corrects) ne me gêne guère (ou même pas du tout) je ne goûte qu'assez peu à la promiscuité. Certes ce type d'hébergement peut être l'occasion de rencontrer du monde, mais je dois dire que pour l'instant j'ai un peu l'impression que les randonneurs qui voyagent en groupe sont un peu "calés" dans leurs groupes et par nationalité... mais bon j'espère bien avoir tort très vite. Seulement de si vastes chambrées me paraissent un peu trop peuplées finalement pour faciliter les conversations et les rencontres, surtout "internationales".
Je dis ça, mais j'ai à nouveau rencontré de nouveaux amis hier soir...mais des compatriotes. J'avais trouvé, au bar du jardin de l'auberge, une bière et des chips en guise de tapas (je n'en ai pas encore vu dans cette partie de l'Espagne), quand un groupe de quatre hommes, deux vers la soixantaine et deux autres d'une vingtaine d'années plus jeunes, m'ont très gentiment invité à partager leur bouteille de vin rouge. Ces quatre amis sont lozérois et cheminent entre quatre et six jours par an sur le chemin de St Jacques, depuis plusieurs années. Ils viennent de l'Aubrac et des environs, et nous parlons tout naturellement de ces beaux endroits que j'ai traversé il y a peu. Demain, ils prévoient la même étape que moi, un véritable challenge pour eux.
Nous dînons tous ensemble au restaurant de l'hôtel qui jouxte l'auberge (c'est la même maison, mais bien entendu les hébergements- et les prix- divergent). C'est un grand buffet, ce qui me permet de colmater le vide laissé dans mon estomac depuis que je suis en terre espagnole! Nous discutons très agréablement, notamment de la course Marvejol-Mende, véritable institution dans le coin, mais dont le succès à tendance à pâlir. Plus de concurrence, le trail, la course nature sans doute, et un manque de "rebond" d'une équipe organisatrice qui s'ésouffle. Sans doute le destin d'un évènement si il n'est pas repris par de nouveaux leaders motivés. Faut il encore, vu le contexte actuel de la course à pied, dépensé beaucoup d'argent pour un plateau élite composé à 95% de kenyans... Cela me replonge dans un contexte course à pied. Mais nous ne parlons pas que de cela: mon parcours les intéresse aussi beaucoup. Le plus jeune d'entre eux, qui est dentiste, aurait rêvé de devenir sportif professionel ou aventurier...sa fille, handballeuse professionnelle, compense un peu cette frustration.
Mais je reviens donc à mon départ matinal! Il n'est même pas huit heures quand je quitte Puente la Reina. Je traverse quelques belles rues endormies, ponctuées d'une belle église et de maisons dont certaines arborent de magnifiques armoiries sculptées, on en voit beaucoup dans la région. Je plonge ensuite à nouveau dans la campagne. Le décor est le même qu'hier après-midi. Champs de blé encore vert, coquelicots. Mon pas est bon, les jambes répondent bien et j'ai plutôt la forme malgré ce léger manque de sommeil. Je m'amuse à rattraper la file de randonneurs partis avant moi (je me pose tout de même la question de ces départs si matinaux; la plupart ne font que des étapes de 20 kms, ce qui, même en flânant, les amènent à leur destination du jour vers 12h...), à grimper avec dynamisme les petites côtes. Le sol est particulièrement facile pour marcher: du chemin "blanc", parfaitement sec et très peu de cailloux ert d'obstacles.
Je rejoins mes amis lozérois et discute encore un peu avec eux, puis reprend mon petit train.
J'atteins vite Cirauqui, puis Lorca. Le parcours suit parfois une rivière, je rencontre quelques beaux ponts médiévaux. Estella se rapproche. Je pense faire une pause dans cette ville relativement importante, qui recèle un très beau centre historique. L'approche est agréable, toujours dans les champs.
Devant la première église, celle du Saint-Sépulcre, à la belle façade sculptée, un monsieur me récite un poème, qui dit bienvenu aux pélerins. Une belle façon d'accueillir. Je me balade ensuite dans la vieille ville de cette "Tolède du nord" comme on la surnomme. Elle est certes plus modeste que Tolède (j'y suis allé également et je garde un bon souvenir de la vieille ville et de footings sur les remparts) mais reste intéressante. Malheureusement, je ne vois aucun café, restaurant ou quelque établissement que ce soit pour se "poser" un instant à proximité de cette richesse patrimoniale... curieux.
Je quitte donc la ville... La sortie n'est pas des plus pittoresques. On longe les grandes voies à travers des quartiers sans intérêt. Un peu plus loin, le pélerin peut prendre deux options: soit filer droit vers le prochain village, soit faire un détour de deux kilomètres vers le monastère d'Irache. La principale curiosité du lieu est, outre le monastère lui-même, une fontaine à vin mise gratuitement à la disposition des pélerins par la bodega locale.
J'y goûte un vin d'une qualité qui me semble modeste. Mais bon, le lieu est amusant. Le vin coule doucement, je me contente de 10 cl. De toutes façons, je n'ai encore rien manger depuis le "desayuno", pas question d'abuser si je veux marcher jusqu'au prochain restaurant...
Le monastère vaut donc sans doute le détour mais par contre, comme le précise d'ailleurs mon topo guide, le balisage n'est pas très bon pour cette variante. Et le guide pas vraiment précis. Je me retrouve, au bout d'une piste qui longe l'autoroute, à un carrefour où aucun balisage ni indication ne vient vraiment m'aider. Un cycliste espagnol et un marcheur japonais sont dans le même cas que moi. Finalement, avec le cycliste, je décide de prendre une direction qui doit me permettre de rejoindre la nationale, peu empruntée, parallèle au chemin. Le japonais, malgré mes suppliques, tient à longer l'autoroute...finalement, en me retournant un peu plus loin, je verrai qu'il a suivi tout de même mes conseils.
Après quelques kilomètres ainsi, je parviens au village de Azqueta. Il est 13 heures et donc une heure convenable pour penser grignoter en Espagne. Mais le seul établissement ouvert ici n'a plus rien à me proposer à manger. Je me contente donc d'un café... La patronne m'indique qu'à Villamayor, deux kilomètres plus loin, le restaurant est bien ouvert et pourvu. Avant d'y parvenir, je rencontre un grand monsieur sympathique qui vient de Bourgogne. Il est parti de chez lui, depuis fin mars. Une périostite le gêne beaucoup, mais il continue d'avancer. Comme beaucoup, il s'extasie sur la longueur de mes étapes, et comme souvent l'attribue en premier lieu à mon âge... parfois, mais pas là, je demande à mes interlocuteurs si ils en étaient capables à 34 ans, car je ne pense pas que ce soit là l'unique paramètre. Mais son défi et son cheminement valent tout à fait le mien.
J'arrive donc à Villamayor, où je prends le temps d'admirer la belle église Saint-André, construite sur un promontoire, avant d'aller quérir le bar. Une grande tablée semble y monopoliser l'attention des deux seuls employés présents, et n'ayant guère envie de trop attendre, je commande simplement une part de "tortillas" déjà toute prête et une bière... décidément, la Navarre n'est pas une grande région de gastronomie ni de restaurants!
Mais l'étape est courte, enfin presque, 45 kilomètres, et je ne suis qu'à 12 kilomètres de Los Arcos, ma destination du jour. Après Villamayor, le paysage offre des panoramas plus large, des espaces plus vastes et dégagés. Certes, cela reste principalement des champs de blé, mais je note tout de même un changement. De belles collines surplombent ces champs, plantées de conifères. Au loin, j'aperçois des montagnes plus hautes et pointues. Le chemin et le terrain restent très roulants, et j'avance encore assez vite. Mon talon/tendon droit tire un peu de temps à autre, mais dans l'ensemble l'étape reste facile. Je double encore des randonneurs. Ils sont vraiment bien plus nombreux depuis tJean, et surtout viennent beaucoup d'Europe du nord et d'Asie, assez curieusement si l'on se souvient du caractère religieux à l'origine de ce chemin. Tous ou presque arborent d'ailleurs sur leurs sacs (qui sont eux aussi d'une extrême varitét, tout comme les équipements et les chaussures) une coquille. Je n'en ai pas, j'en rapporterai sans doute une, ou une ffigie, à mon retour puisque, à l'origine, les pélerins ramenaient cette coquille des plages de Galice, pouvant ainsi qu'ils avaient accompli le pélerinage. Aujourd'hui, elle signifie plus ou moins "appartenir au cercle des pélerins", mais bon...
Juste avant Los Arcos, une gentille dame japonaise me sourit et se réjouit de voir les premières maisons. "Nous sommes tout près" lui dis-je. Elle est presque épuisée. Pour moi, la fin de l'étape n'est pas trop difficile, mêm si je commence à avoir vraiment faim. Une boulangerie compensera un peu mon manque de calories. Le temps de trouver l'auberge, là encore remplie à rabord de randonneurs de toutes origines, et me voilà en train d'écrire... Demain l'étape est plus longue, ce sera également un bon test pour ma forme.