Lors du dernier café économique que j'ai animé hier soir, nous avons décidé de substituer au sujet initialement prévu (la Bourse) une discussion sur l'avenir de la Grèce au sein de la zone euro... et les conséquences d'une éventuelle sortie ! Dans le billet d'aujourd'hui, je voudrais donner quelques éléments de réflexion concernant l'Espagne, dont on oublie un peu vite qu'elle pèse bien plus lourd en termes économiques que la Grèce : 12 % du PIB de la zone euro pour l'Espagne contre à peine 3 % pour la Grèce.
Tout d'abord, il faut rappeler que la trajectoire suivie par l'Espagne est tout à fait originale par rapport aux autres États membres de la zone euro, notamment depuis le rattrapage économique qui s'est opéré après la dictature franquiste. Son entrée dans la CEE en 1986 marque une nouvelle période d'expansion, à l'aide des fonds structurels européens qui s'élèvent à 0,8% du PIB annuel, et surtout une plus grande dépendance au commerce international. Enfin, afin de satisfaire les critères de Maastricht, l'Espagne s'impose de nombreuses réformes budgétaires (6,6 % du PIB de déficit public en 1995, 2 % d'excédent public en 2006, 68,1% du PIB de dette publique en 1996, 39,7 % en 2006) qui la qualifient pour l'entrée dans la zone euro dès 1999.
Il n'en fallait pas plus pour ce pays soit présenté comme un modèle de vertu aux yeux des néolibéraux, d'autant que le chômage a connu un reflux important, passant d'un taux de 20 % en 1994 à 8,5 % en 2006.
Mais que s'est-il donc passé pour que le bon élève de la zone euro soit aujourd'hui soumis à une cure d'austérité et voué aux gémonies par les investisseurs ? Tout d'abord, peu d'observateurs ont signalé que l'essentiel des emplois créés le furent dans la construction (1/5) et les services (4/5), c'est-à-dire dans des secteurs à forte intensité en main d'oeuvre, ce qui explique que la productivité du travail a ralenti plus rapidement que dans le reste de l’Europe. Donc point d'innovations, de R&D, de développement extraordinaires... Juste l'application de politiques néolibérales basées sur la financiarisation accrue, la dérégulation du marché du travail (assouplissement des règles de licenciement, hausse des contrats précaires, stagnation des salaires réels,...), la baisse des taux d’intérêt liée à l’entrée dans la zone euro (près de 14 % en 1992, 3,5 % en 2006), les privatisations massives, une déconstruction de l'État-providence, et une désindustrialisation rapide.
Rien d'étonnant donc à ce que la crise de 2007 ait déstabilisé profondément l'Espagne, d'une part du côté financier avec de nombreuses banques zombies et des clients incapables de rembourser les montagnes de prêts qu'ils avaient obtenus à la faveur de taux d’intérêt réels très bas, d'autre part du côté commercial avec une dégradation rapide de sa compétitivité déjà bien érodée avant la crise par une inflation soutenue. Rappelons que le taux d’endettement des entreprises est passé de 65 % à 135 % du PIB entre 1995 et 2010, tandis que celui des ménages dont le salaire réel stagnait est passé de 65 % à 130 % de leur revenu disponible entre 1995 et 2005 ! Le tout lié essentiellement au secteur de l'immobilier dont les prix ont ainsi été multipliés par 2,5 entre 1997 et 2005, alimentant finalement une bulle spéculative qui a fini par exploser.
Et depuis, les moteurs de la croissance qu'étaient l'immobilier et l'endettement sont en panne pour très longtemps. Quant au fameux excédent public de 2 % du PIB en 2006 que nous évoquions plus haut, il s'est mué en un déficit faramineux de 11 % du PIB en 2009 ! Pourtant, le niveau d'endettement public reste bien en-deçà des niveaux en France ou en Allemagne (environ 85 % du PIB dans ces deux derniers pays, contre 65 % en Espagne), ce qui démontre si besoin était que la zone euro ne traverse pas une crise de la dette publique, mais que celle-ci n'est qu'un symptôme d'un mal plus profond comme je l'avais déjà expliqué dans ce billet. Quoi qu'il en soit, les investisseurs semblent avoir perdu confiance dans les capacités de l'Espagne à retrouver la croissance, et les politiques d'austérité ne vont faire qu'empirer les choses avec une montée phénoménale du taux de chômage qui dépasse désormais les 24 % et qui débouchera tôt ou tard sur une grave crise sociale et politique dont le mouvement des indignés n'a été qu'un prélude !
Début 2012, l'Espagne est donc confrontée tout à la fois à un déficit public et à un taux d’endettement public en hausse, ainsi qu'à un déficit extérieur chronique et un taux d’endettement extérieur très élevé :
[ Source : Flash économie Natixis, 14 mai 2012 ]
[ Source : Flash économie Natixis, 14 mai 2012 ]
Le mécanisme économique pour faire face à cette situation est l'ajustement du taux de change. Malheureusement, la monnaie unique ôte cette possibilité et il ne reste donc plus que l'ajustement réel, c'est-à-dire d'un côté une politique budgétaire restrictive et de l'autre une réduction des coûts du travail. Or, ces politiques économiques de rigueur ont conduit, nous l'avons vu, à une forte hausse du chômage mais aussi à une baisse de la production et de la demande intérieure, ce qui aggrave encore plus le déficit budgétaire ! Bref, ces politiques économiques viennent de démontrer leur inefficacité patente !
Il existe pourtant un moyen simple de résoudre les problèmes de l'Espagne et de tous les autres pays de la zone euro : une stratégie fédéraliste, ou à défaut coopérative, consistant en l’achat de titres publics et privés espagnols par la BCE (afin de faire baisser les taux d’intérêt) et en des apports d'aides ou de subventions aux investissements industriels en Espagne.
Mais encore faut-il convaincre la Chancelière allemande de l'intérêt de cette solidarité européenne... à défaut, il ne restera plus à l’Espagne d'autre alternative que de sortir elle aussi de l’euro pour retrouver sa solvabilité avec les coûts considérables que cela implique.