Le mardi 15 mai 2012 fut une rude journée pour Hollande : à peine avait-il fini de rendre hommage au chantre de l’expansion coloniale et à la naissance du nucléaire (ce qui ravira ses amis de tous bords, soyons en sûrs) qu’il nous dévoilait, après un suspens au moins aussi intense que pendant toute la campagne présidentielle, le nom de son premier ministre.
Et c’est donc sans surprise que Jean-Marc Ayrault devient le premier Premier Ministre de Hollande, et même un Premier Ministre Irréprochable Car Il N’a Jamais Été Condamné Et Il A Même Été Réhabilité. Et dans la foulée, le mercredi 16, ce Premier Ministre Irréprochable nous a présenté un gouvernement flanby flambant neufnormal, très peu servi à tout point de vue, qui va offrir au Changement ses lettres de noblesses.
Avant de passer en revue la brochette de bras cassés personnalités qui le composent, on se réjouira de l’absence de la tartine de Lille, à deux titres : d’une part, comme Hollande et elle ne peuvent pas s’encaisser, l’hypocritomètre aurait explosé si elle avait fait partie de la fine équipe. D’autre part, son absence nous permet d’échapper aux rodomontades moralisatrices qu’elle n’aurait pas manqué de nous asséner du haut de son ministère, quel qu’il fut, et de ses lumineuses idées dont la France subit encore les effets catastrophiques directs et indirects.
À présent, et sans passer en revue tous les 34 ministres d’un gouvernement pas resserré du tout, concentrons-nous sur ses quelques particularités dont la durée de vie est étroitement liée d’une part à la conjoncture économique et d’autre part aux prochaines législatives. Car en effet, Ayrault l’a clairement expliqué, un ministre qui n’aura pas été élu en juin prochain sera viré : voilà qui, au moins, donne une puissante motivation à gauche pour que les ministres soit élus, et à droite pour choper leur circonscription. Parallèlement, il est amusant de constater la coïncidence des prochaines élections grecques des prochaines élections françaises. Le dimanche 17 juin au soir, on aura peut-être le droit à un feu d’artifice politique comme l’histoire en connaîtra peu.
Bref.
Première constatation : la fraise des bois a réussi à camoufler les éléphants puisque dans ce gouvernement, on n’en voit qu’un, Fabius. Ce qui monte donc à deux le nombre de ministres qui sont passés devant la justice, dont le Premier Qui N’A Jamais Été Condamné et A Même Été Réhabilité. Il aurait été amusant de nommer l’un ou l’autre à la justice, au passage, mais finalement on aura préféré lui adjoindre Taubira, dont tout le monde s’accordera à dire qu’il n’y a rien à en dire : parfaite politicienne voyageant de Balladur à Tapie puis Royal, propulsant à l’occasion une loi de complaisance complètement accessoire, elle aura été chaudement récompensée par Hollande pour avoir réussi à fusiller la candidature de Jospin en 2002 dans un joli pschitt abracadabrantesque dont les socialistes se souviennent encore.
Fabius, quant à lui, se retrouve aux Affaires Étrangères. La diplomatie française passe donc de Juppé, un ministre condamné, à Fabius, un ministre responsable mais pas coupable qui a du sang contaminé sur les mains. Le changement, c’est mollo. On va me trouver lourd d’insister, mais je tiens à noter que dans un cas normal, la fonction publique d’état est rigoureusement fermée à tout citoyen lambda qui a un extrait de casier judiciaire non vierge. Dans un cas normal, donc, qui irait avec un président normal et un premier ministre normal.
On notera aussi la présence de Moscovici à l’Économie, ce qui permet de brosser les strausskhaniens dans le sens du poil. Ce poste est aussi la récompense du temps passé à gérer la pénible campagne présidentielle de Hollande depuis le mois de juin 2011. On assiste ici à un renvoi d’ascenseur d’une banalité consternante. Avec ce qui va lui arriver dans les gencives au niveau économique mondial, le petit Pierre aura bien besoin de son gentil DEA de sciences économiques décroché il y a trente ans, mais, à tout prendre, il aura probablement plus besoin de son autre DEA, celui de philosophie, pour rester zen et savoir faire la part des choses dans l’averse de catastrophes dans laquelle il va, aidé des autres socialistes, propulser la France.
Du côté du ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social, ça sent le Michel Sapin. Au moins, c’est normal. C’est même lucide. Quant à Montebourg à l’Industrie, pardon, au fier Redressement Productif, on est là dans la continuité du froufroutage volubile et de l’habillage cossu et embourgeoisé des foutaises rigolotes et populistes de sa campagne de primaires dans lesquelles le pédant nous avait bassiné de ses approximations douteuses sur la mondialisation et navré sur ses solutions improvisées à la mode socialistoïde. Ici, l’avantage évident de cette nomination réside avant tout dans la mise au placard d’Audrey Pulvar, qui est au moins autant un problème pour son compagnon que le fut Hollande pour Royal en 2007. Si le placard est capitonné, cela offrira un sain repos à des millions de Français qui n’attendaient que ça.
On pourra pouffer sur l’attribution des écolos : à défaut d’envoyer Duflot dans le décor, on s’attendait à ce qu’elle aille à l’Environnement. Que nenni. Ce sera dans le ministère de l’égalité des territoires et du logement, ce qui ne veut à peu près rien dire. Je serais tenté d’y voir, ici, une facilité offerte à la dirigeante des Verts pour des éventuelles besoins personnels (ou de son parti) : après tout, tout le monde a besoin d’un logement pas cher. L’avenir nous le dira, mais on espère qu’elle n’utilisera pas son DEA de géographie pour se localiser correctement, ce dernier ne l’ayant pas mis à l’abri de situer le Japon dans l’hémisphère sud (et zut).
Signalons enfin qu’aucun ami communiste, stalinien, trotskyste ou seulement alter-comprenant de Jean-Luc Mélenchon n’aura trouvé de place dans ce gouvernement, (et ça, c’est vraiment normal). J’adresserai un petit « coucou » amusé à tous ses électeurs maintenant parfaitement cocus, et qui ont montré encore une fois ce que « idiots utiles » veut dire.
Les petits amis de Hollande se retrouvent donc bien placés. Comme on pouvait s’y attendre, on ne trouve finalement que des politiciens avides de pouvoir et d’honneurs, c’est bien un gouvernement normal, c’est à dire une belle équipe de clowns, comme la précédente, au fond : la couleur de la sciure et des confettis n’est pas la même, mais la piste, elle, ne varie pas, et les numéros promettent déjà d’être une longue resucée de ce qu’on a déjà vu.
Je ne suis pas sûr que ce soit ce dont la France va avoir besoin dans les semaines qui viennent.