Des rangées, des banquettes, deux tables, d'autres duo de sièges dans ce tgv silencieux, départ 21h38 vers Grenoble.
Je me glisse à ma place, vérifiant une dernière fois mon ticket, portant dans un magnifique épaulé-jeté digne d'un bon haltérophile, ma valise sur l'étagère de ce train. Douceur d'une gare en fin de journée, d'adieux humides pour les uns, de bises et de bouches collées pour d'autres, de dernières cigarettes pour les condamnés à l'abstinence qui va suivre durant trois heures, de business sans fin pour les addict au blacberry, la journée continue, sobrement en préparent son entrée dans la nuit.
Je me câle, sans ordinateur volontairement, deux magazines de mode, autant d'économie, je lis, j'observe encore le quai. Ici et là, cela discute de vacances, de montagnes, d'études fatiguantes, ah non de la fatigue du week-end d'intégration sans sommeil, mais avec tant de musique, de folie, puis derrière moi, plus sérieux, des préparations de réunions, tout ce monde trouve sa place dans la rame.
Calmement elles passent avec leur sac, leur pochette d'ordinateur et chacune une valisette business. Deux profils coincés dans cette allée peu large, un lieu uniforme vers des places réservées. Elles posent leurs affaires, se glissent devant moi. Deux féminités s'offrent à mes yeux, deux tailleurs noirs, la sobriété des consultantes ou des experts-comptables. L'habit ne fait pas le moine, du moins les nonnes, mais je prends volontiers les paris. Elles s'organisent, posant bouteilles d'eau à côté de leurs portables respectifs, de leur i-machine. Chacune son style. Jupe au genou avec une coupe de cheveux courtes, chatâins, un pantalon droit, très fluide, bien coupé pour la brune aux cheveux mi-longs. Deux vestes.
Deux vestes noires, doucement cintrées sur leur corps, fermées avec des boutons modernes mais stricts. Elle se connectent à internet, l'une sort son rouge à lèvre rose poudré, une retouche avec son miroir. Pourquoi soudainement ce rappel féminin pour ses deux clônes d'un cabinet probablement dirigé par d'autres clônes masculins, avec le même costume noir ? Tristesse ou classicisme ?
Elles tapotent sur leur mobile, leur portable, je baisse les yeux vers mon magazine, et ainsi vers leurs talons. Une paire d'escarpins noirs vernies, de près de sept centimètres, ni trop petits, ni trop arrogant pour la plus petite des deux. Des bottines noires sur un collant semi-opaque impeccable, une fermeture moderne de quatre boutons argentés, peu communs, une rare excentricité dans cet uniforme. Le temps passe, je lis, je regarde les paysages, dans une pénombre naissante.
Elles papotent, tapotent, échangent des mots "business", "planning", "budget", "analyse des fournisseurs", et le temps passe. Les mots changent "mode", "chemisier d'été", "coton", "printemps et dîner", "mariage" et "shopping". Elles ouvrent leurs vestes quasiment au même moment, la chaleur des saisons évoquées, le bien-être. Deux versions là encore, bien cachées sous ce noir omniprésent. Un top en coton chic, col en V, justement choisi, justement coupé pour se plaquer contre la gorge, un collier de perles, une tendance qui revient. L'autre femme le remarque, le commente. Elle touche les fines perles. La seconde se dévoile avec un chemisier en soie ultra souple, imprimé de pois ivoire sur un fond noir brillant. Réelle duo de beauté, une touche si féminine chacune avec leur matière. Un charmant duo de women in black.
J'aperçois une couture quand l'une d'elle se lève.
Je regarde la lumière rouge, j'oublies. Je dors.
Nylonement
Modèle : Amber ANDERSON
Photographe : Diego INDRACCOLO
pour le magazine SCHON
Styliste : Kay KORSH
Coiffure : Peter LUX
Maquillage : Afton RADOJICIC