Une heureuse découverte pour nous, amateurs de peinture et tout spécialement de cette période fantastique de la Renaissance italienne.
La sélection proposée par le musée du Luxembourg est proprement éblouissante, et l'on découvre ici une peinture portée à un rare niveau d'incandescence, un exemple de ce que la Renaissance de la fin du Quattrocento a pu produire de plus délectable en termes de grâce, de mesure et d'harmonie. Bien que nous n’en ayons jamais entendu parler, Giovanni Battista Cima da Conegliano (1459-1517) compte parmi les grands peintres qui travaillèrent à Venise à la fin du XVe et au début du XVIe siècle, aux côtés de Giovanni Bellini et de Vittore Carpaccio,
À Venise, Cima s’impose très vite comme le maître des grands retables en explorant des effets de composition inédits, où se mêlent de manière originale nature et architecture. Il introduit des asymétries et des échappées insolites, ménage des ouvertures surprenantes, comme dans la Vierge à l’Enfant entre l’archange saint Michel et l’apôtre saint André.
La vie de Giovanni Battista Cima est celle d’un jeune homme sorti du lot, car rien dans ses origines ne le prédestine à réussir à Venise. Il n’y est même pas né, mais a grandi dans l’arrière-pays, dans une bourgade nommée Conegliano, située au pied du massif montagneux des Dolomites.
Cette ascension sociale, Cima la doit d’abord à une forme de perfection, fondée sur la minutie de son dessin, sa maîtrise de la peinture à l’huile (une technique alors relativement nouvelle dans l’histoire de la peinture vénitienne), l’étendue de sa palette aux couleurs lumineuses, le soin avec lequel il rend les visages, les expressions et les regards, comme ses vierges mélancoliques.
L’exposition permet justement de voir de tout près ces tableaux d’autels destinés à édifier les fidèles, en exaltant la vie des saints de façon à la fois humaine et sensible. Dans la grande composition de la première salle, nous avons pu reconnaître sans effort les deux saintes qui nous accueillent : Catherine et sa roue, et, chère à notre cœur, Apolline qui tient en ses mains un davier et sa dent. Plus loin, le beau jeune homme en armure d’acier est Saint Georges, dont on aperçoit le dragon, en arrière-plan, tenu en laisse par une vierge, non pas transpercé mais apprivoisé.
Les maîtres de la génération suivante, Lorenzo Lotto, Sebastiano del Piombo, Titien, sauront retenir les leçons de la peinture de Cima et y puiser des idées pour leurs propres compositions. Au sommet de sa carrière, Cima sait encore reconnaître les avancées d’un peintre plus jeune, Giorgione, et modifier sa manière de peindre, en optant pour une touche plus vibrante et suggestive dont le Saint Jérôme au désert est un des plus beaux exemples.
Pour moi qui a eu plaisir à lire la saga Cinquecento qui commence avec Les Fortins de Venise, je ne peux m’empêcher de penser au héros malheureux du roman de Pierre Legrand et Claudine Cambier, le jeune Paolo Scarfati, un aide de Titien bourré de talent, assassiné en 1514 …
Au Musée du Luxembourg, jusqu'au 15 juillet, 11€.