Nouvel ouvrage sur la guerre d'Espagne et les Brigades internationales, les "vraies", celles qui furent engagées du côté républicain. Le texte de ce militant juif communiste, volontaire aux côtés des républicains espagnols, avait été publié en yiddish en 1956 et n'avait alors reçu qu'une diffusion confidentielle.
En 27 chapitres denses, le livre nous emmène du départ de Tchécoslovaquie pour l'Espagne ("Les procès de Moscou m'ébranlèrent. Comment etait-ce possible ? Zinoviev, le bras droit de Lénine ?") via Paris. Affecté après son arrivée à Albacète, quartier général des Brigades internationales, non à une unité combattante mais à la section de propagande, afin "de maintenir le moral des brigadistes", il est contraint de participer au travail de la censure. Cette situation particulière (et la confiance -pourtant mêlée de soupçons permanents- des cadres dirigeants) permet à Stein, qui dispose d'un laisser-passer, de circuler en de nombreux points (et même à des heures de couvre-feu) alors que ses camarades sont soumis à un régime beaucoup plus strict. Il peut rencontrer beaucoup de monde, de tous les grades et dans tous les types d'unités. Intérieurement, il se révolte rapidement devant le mépris dans lequel les responsables communistes tiennent les simples volontaires : "Combien de déceptions, de sang des camarades innocents, versés inutilement !... Je compte lever le voile et présenter ces Brigades pour ce qu'elles étaient en réalité".
Son témoignage, qui inspire le plus grand respect pour les simples combattants souvent sacrifiés, est accablant dans tous les domaines relevant du commandement supérieur : manipulations de la presse et désinformation systématique paraissent évidentes. On découvre l'intégration dans les unités sur le front de"liquidateurs" communistes, tuant d'une balle dans le dos les "camarades" qui commencent à dénoncer le système.
Dans ce registre, André Marty (l'ancien mutin de la mer Noire devenu responsable du PCF et membre français de la direction de l'internationale communiste, surnommé "le boucher d'Albacète") se distingue tout particulièrement. Stein lui consacre de nombreuses lignes à partir de la page 86 : exécutions sommaires ("Je ne me souviens pas d'une seule rencontre entre camarades où le nom de cet assassin détraqué ne fut évoqué") ; beuveries et orgies organisées pour compromettre les autres dirigeants ("Tout ce beau monde continua de s'empiffrer et de s'imbiber d'alcool jusqu'au petit matin, alors même que l'Espagne républicaine subissait les affres de la faim... C'était un excellent moyen de s'assurer la loyauté de ces 'chefs' et de ces bureaucrates") ; terreur et mensonges. Tout est bon, tout y passe. Après avoir évoqué la figure de la Pasionaria et ses séjours en France et à l'arrière, il rejoint une unité combattante. Il consacre les derniers chapitres à raconter des exemples de plus en plus nombreux d'antisémitisme à l'encontre des volontaires juifs polonais appartenant pourtant à la première génération des militants communistes et décrit à la fin de son livre la disparition au combat de la compagnie Botwin.
Dans sa postface, Jean-Jacques Marie posent les questions méthodologiques indispensables, relatives à la crédibilité qu'il convient d'accorder à ce témoignage. Après avoir croisé ce récit avec ceux d'autres témoins, sa conclusion est claire : ""Les souvenirs de Stein sont le long cri de colère d'un homme révolté, qui se sent trompé et trahi. Sa déception est à la mesure de son enthousiasme initial, mais il ne sombre pas dans l'aigreur... Il exagère peut-être, mais ne fabule pas"
Un ouvrage désormais indispensable dans toute bibliographie sur la guerre d'Espagne ou le mouvement communiste international.
Source du texte : Blog de Rémy PORTE
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Editions Seuil, 265 pages, 19 euros