UN MAUPASSANT, EN PASSANT (tome 4)

Par Dubruel

LA SERRE

Berthe et Stanislas Dufour

Occupaient une maison

Avec serre et basse-cour.

Stanislas était un bon garçon

Berthe se montrait toujours mécontente,

Aigrie, volontaire, désobligeante.

Elle accablait son mari

Des plus vives railleries.

C’étaient surtout les nuits

Qui s’avéraient pénibles pour lui

Car ils partageaient le même lit.

Elle reprochait à Stanislas

D’être trop gras.

Et quand il dormait,

Elle le pinçait :

-« Stanislas,

Tu tiens toute la place

Tant tu deviens gros

Et tu me sues dans le dos. »

Ou : -« Lève-toi et va me chercher

Le journal en bas. »

Stanislas ne le trouvait pas

Car elle l’avait volontairement caché.

Ou : -«Apportes-moi une bouteille d’eau.»,

«Viens te recoucher, grand nigaud ! »,

«J’ai une crampe, masse-moi ! »,

« Laisse-moi dormir, tais-toi ! »,

Et cetera…

Une nuit, Berthe lui saisit le bras :

-« J’ai entendu du bruit en bas. »

Accoutumé à ce genre d’alertes,

Stanislas ne s’inquiéta pas :

-« Tu dois te tromper, Berthe.

Qui veux-tu que ce soit d’ailleurs ? »

-« Imbécile !, mais des voleurs… »

Exaspérée Berthe, sauta du lit

Et dit :

-« Ils vont nous exterminer ! ! »

Elle saisit les pinces de la cheminée

Et, dans une attitude de combat,

Derrière la porte se posta.

En passant devant la fenêtre,

Stanislas, lui, vit deux êtres

Qui traversaient la cour

Son sang ne fit qu’un tour.

Il s’élança vers le secrétaire,

L’ouvrit, prit son revolver

Et se précipita dans l’escalier.

Sous les draps, Berthe s’était réfugiée.

Elle attendit dix minutes,

Vingt minutes.

Une folle inquiétude la gagnait.

Stanislas avait été assommé, étranglé… ?

Elle ne le reverrait plus !

Certainement plus !

Elle appela Yvonne, la bonne.

Mais elle ne répondit pas.

Minuit sonna.

Enfin, au bout d’une demi-heure,

Stanislas remonta.

Devant lui elle se planta :

-« Tu me laisses crever de peur !

Tu ne t’inquiètes pas,

Comme si je n’existais pas. »

Stanislas riait comme un fou :

-« Dans la serre,… Yvonne…un rendez-vous…

Si tu savais…ce que…j’ai vu… »

-« Hein ? Que dis-tu ?

Dans la serre… notre bonne ?

Et tu n’as pas tué le jeune homme ? »

Stanislas embrassa sa femme brusquement.

Mais elle se dégagea en réclamant :

-« Tu vas me licencier cette fille-là ! »

Il la saisit alors à pleins bras

Et l’entraina vers le lit.

….

Le lendemain à dix heures et demie,

Inquiète de ne pas voir ses patrons,

La bonne, Yvonne, tapa à leur porte.

Ils étaient encore au lit.

-« C’est l’ café au lait

Que j’ vous apporte. »

-« Pose le plateau sur le guéridon.

Nous sommes un peu fatigués.

Nous avons si mal dormi !»

….

Certaines nuits,

Vers minuit,

Les époux émoustillés se rendaient à la serre,

Collaient leur visage à la paroi de verre,

Et lorgnaient au-dedans avec curiosité,

Parfois pendant plus d’une heure.

….

À la fin du mois, la bonne reçut

Ses gages… fortement augmentés.

Mme Dufour n’eut plus d’aigreurs

Et M. Dufour n’est plus ventru !