Built to Spill - Conventional Wisdom
L'autre jour... Non pas celui-là, l'autre encore. L'autre jour donc, j'ai rythmé mes conneries sur Canardplus au son de quelques disques de ceux qui accompagnent l'adolescence et gardent une place de choix dans votre discothèque une fois l'âge de raison atteint (en théorie). Il y a eu Blue de Weezer, Wowee Zowee de Pavement et il aurait pu y avoir du Built to Spill si ce You in Reverse n'était pas paru en 2006, après cinq ans d'une douloureuse absence. Notez que des albums antérieurs de Doug Martsch et sa bande auraient pu faire l'affaire, mais là n'est pas la question, puisque c'est celui-ci qui a tourné dans mon lecteur. Et comme son équilibre entre abrasion et velléités mélodiques est admirable, il mérite bien un billet.
Surtout qu'en dépit d'une popularité inversement proportionnelle à la majesté de ses productions, Built to Spill est une figure immanquable de l'indie-rock à l'américaine, aux côtés des déjà cités Pavement, de Yo La Tengo ou de Sebadoh. Pour en être convaincu, le lecteur sceptique n'aura pas à attendre longtemps, l'entame de l'album étant un "fuckin' classic", à prononcer comme Zoé Bell dans le Death Proof de Tarantino. Avec presque neuf minutes au compteur dont deux minutes d'introduction aux guitares tire-larmes jusqu'à ce qu'à ce que la voix céleste du barbu Martsch n'entre en action, Goin' Against Your Mind a tout ce qu'il faut là où il faut : une section rythmique qui colle les pieds au plancher, des espaces réservés au silence, des enchevêtrements et empilements de six-cordes lumineux, des tonnerres d'électricité pour faire monter l'adrénaline et une écriture mélodique irréprochable. Oui rien que ça.
Mais le plus beau, c'est que tout l'album est de ce calibre (88 mm au moins), de la ballade Traces, aux instrumentations qui relèvent de la création joallière plutôt que de la musique, au tempo plombé du Neil Youngien Wherever You Go.Dans un coin de cette malle aux trésors, on trouve par exemple, une pop-song aussi parfaite que saboteuse de morale, Liar, aussi appelée "chanson pour stagiaires au bout du rouleau" (du vécu, un seul homme peut comprendre cette allusion). Ailleurs, c'est Conventional Wisdom et son riff inoubliable, radieux comme du Dinosaur Jr., qui provoque l'addiction, tandis qu'à l'opposé, le suspendu Saturday s'impose paradoxalement comme une chanson idéale pour les dimanche matins. Et si le dernier tiers de l'album manque malheureusement un peu de superbe, il s'y tapit Mess With Time, le titre le plus sonore, qui se construit sur une batterie cognée sans ménagement et des guitares bouffies de distorsion avant de muter en un ska-reggae inattendu mais révélateur des vastes influences du groupe.
Groupe qui réussit le tour de force de composer des morceaux consistants (régulièrement plus de cinq minutes) et nourris de détours sans sacrifier leur nature de chansons. Conclusion : entre ses instants de bravoure qui se cramponnent au cerveau et ses atours merveilleusement chiadés, You in Reverse est un vampire, immortel et dangereusement séducteur. Ca c'est de la comparaison coco.
Built to Spill - You in Reverse (Warner) - 2006