Il faut relire les Évangiles. Et les Grecs. Et les Égyptiens. À la source ou avec l’aide de la philosophe Simone Weil.
Il faut les relire, résolument. Ces textes sont des sommets de l’esprit humain. Plus de 2000 ans nous séparent “ et pourtant ” les intuitions les plus fondamentales de ces textes sont intactes. Les pouvoirs, économiques, financiers, politiques au sens étroit, regardent les êtres humains comme des objets. Et ces textes opposent le respect inaliénable de la personne humaine et notre responsabilité individuelle devant les forces qui privent les êtres humains de leur droit au développement physique et spirituel.
Dans Des origines de l’Hitlérisme, Simone Weil, cite les propos attribués au dieu Râ, quarante siècles plus tôt : « J’ai créé les quatre vents pour que tout homme puisse respirer comme son frère... J’ai créé tout homme pareil à son frère. Et j’ai défendu qu’ils commettent l’iniquité, mais leurs cœurs ont défait ce que ma parole avait prescrit ».
Que le lecteur patient et indulgent se rassure : l’auteur de ces lignes n’a pas (encore ?) été touché par la grâce.
Et pourtant... il est quant à moi certain que rien de plus grand ne pourra être écrit que ces textes qui envisagent l’être humain sous le rapport de son droit fondamental au bonheur. A pouvoir se nourrir, s’éduquer, connaître la passion des arts, travailler chaque jour pour le bien de la communauté humaine, être logé, jouir de la chaleur d’un foyer, avoir la vie digne qu’autorise un ordre social respectueux de la personne humaine.
Il y a quelques jours j’ai participé à une réunion publique au cours de laquelle certains participants se sont mués en chasseurs d’utopie et de rêves, de systèmes compliqués à venir censés résoudre avec magie les problèmes posés à la société actuelle.
A la fin de cette réunion, je me suis fait à moi-même cette remarque : cette chasse à l’utopie magique est vaine. Elle est littéralement une fuite en avant. Une manière de fuir dans un propos compliqué, la nécessaire réappropriation par chacune et chacun, des buts fondamentaux de notre action politique.
Je reformule une seconde le paragraphe précédent. L’état social actuel prive chacun, chacune du droit premier à se respecter. Respecter son travail, son besoin d’éducation, de temps libre, de rapport authentique à l’autre. Le marché a même pris possession de nos désirs. Et cette privation de soi conduit, dans l’ordre politique, à remettre sans cesse la libération humaine dans un au-delà de constructions sociales compliquées.
Je reformule encore. L’un des problèmes – l’un seulement, je n’écarte pas la foule des problèmes du moment –, l’un des problèmes de l’utopie n’est-il pas simplement de faire toucher à chacun-e la dignité de ce qu’est être humain. Donner au travailleur agricole la dignité profonde de son travail au regard des besoins humains, permettre au travailleur d’usine de maîtriser ce qu’il produit, comment il le produit et pour quel usage social. Donner à chaque enseignant, à chaque artiste la reconnaissance que méritent celles et ceux à qui la société a donné la tâche de nourrir les esprits et les âmes.
Ce mois-ci, cet édito est un plaidoyer. Un plaidoyer pour une simplicité assumée. L’idée de progrès humain est à mes yeux tout entière dans cette affirmation de la dignité humaine. Tout le reste, et pourtant de grande importance, n’est que contingence scientifique et technologique.
Notre liberté fondamentale est d’être des êtres humains dignes de ce nom. C’est le seul but de la politique. Tout le reste appartient à la sphère des contingences ou des errements. Et, pour ce qui me concerne, c’est ce fondamental qui fait de moi un communiste joyeux.