Quand Nicolas Sarkozy fut enfin intronisé en mai 2007, il a longuement profité de son moment. Pour le plaisir. François Hollande, lui, dut s'éclipser pour l'Allemagne. Un coup de foudre sur le Falcon présidentiel vers 18h l'obligea à rebrousser chemin pour repartir ensuite. Mais la journée, sa première journée de président, tranchait déjà avec le quinquennat précédent.
« On voit bien la différence avec le président sortant » . L'expression a fait florès, mardi 15 mai dans la bouche des commentateurs de l'investiture. Elle était terrible pour Nicolas Sarkozy, qui certainement, n'écoutait pas.
Vers 9h45, les invités étaient là, quelque 300 personnes représentant les institutions et corps intermédiaires du pays, ceux-là même que le candidat sortant voulait évacuer à coup de référendums. Les proches et soutiens de la campagne étaient rares.
C'était sobre. Hollande n'exhibait rien. A peine était-il souriant, trop ému. En mai 2007, nous nous souvenions de la « montée des marches » de la famille Sarkozy. L'ancien Monarque faisait l'acteur, Hollande assumait la fonction.
La passation de pouvoir fut courte. Très courte. Il paraît, nous a-t-on répété, que Sarkozy voulait que Hollande recase Xavier Musca,
son secrétaire général de
l’Élysée. Un temps, l'ancien Monarque avait pensé lui confier les rênes
de la Caisse des Dépôts. Mais ça s'était vu, et au pire moment, en
pleine campagne.
A 10 heures, Nicolas et Carla Sarkozy repartaient en voiture, définitivement, de l'Elysée. A la sortie, rue du Faubourg Saint-Honoré, des militants et supporteurs agitaient leurs drapeaux. Quelques minutes avant, certains huaient les invités qui arrivaient à l'Elysée. Le couple a prévu de partir 15 jours en vacances en Italie. En tant qu'ancien chef d'Etat, ses voyages sur Air-France sont gratuits. Dès l'après-midi, Nicolas Sarkozy était vu en train de faire un footing au Bois de Boulogne.
Vers 10h10, il suffit d'une phrase, prononcé par Bernard Debré, président du conseil constitutionnel, et ce fut fait. François Hollande était le 7ème président de la Vème République.
« A l'issue d'une consultation électorale qui s'est déroulée dans de bonnes conditions, vous devenez aujourd'hui le septième président de la Vème République. (...) Vous incarnez la France,
vous représentez la République et vous représentez l'ensemble des
Français. Monsieur le président de la République, toutes nos
félicitations »
En 2007, Nicolas Sarkozy s'agrippait à des symboles ici ou là pour rassurer d'une Rupture qu'il promettait si grande. Le jour de son investiture, il était allé discourir en hommage au Bois de Boulogne en hommage à 35 jeunes résistants fusillés en août 1944 à la veille de l'insurrection
parisienne contre l'occupation nazie. Sarkozy, déjà, jouait au successeur de de Gaulle. Il jeta aussi à la pâture médiatique une lettre de Guy Mocquet à lire dans les écoles avant les cours de la rentrée des classes. C'était si important pour lui, qu'il abandonna la chose dès la rentrée d'après. François Hollande préféra jouer d'autres symboles, des recueillements et des hommages, Marie Curie, Jules Ferry. Puis à la Mairie de Paris.
Le discours même de François Hollande signifiait une rupture avec le Monarque d'avant. Il ne nous promettait ni la Grande Casse ni la fausse Rupture. Il n'abusait pas de logorrhées humanistes. Il fut sobre. Hollande s'engageait sur la confiance. Il voulait rassurer et non cliver. Nous n'avions plus l'habitude de cette absence de gesticulation verbeuses, de tics nerveux rythmant les saillies verbales. Hollande était droit, ému, sobre.
Chapitre après chapitre, son intervention était un réquisitoire contre la mandature Sarkozy. La confiance retrouvée, c'est « l'unité de la Nation », un gouvernement qui « gouverne », une justice qui « disposera de toutes les garanties de son indépendance », « une scrupuleuse sobriété dans les comportements » de l'Etat . « La confiance, c'est l'exemplarité. (...) Président
de la République, j'assumerai pleinement les responsabilités
exceptionnelles de cette haute mission. Je fixerai les priorités, mais
je ne déciderai pas de tout, pour tout et partout.»
A l'UMP, les commentaires furent rares. Tôt le matin, Brice Hortefeux était presque apaisé. Il ne parlait que de son affection pour Nicolas Sarkozy. Plus tard, Jean-François Copé fut sans surprise. Il dénonça une « passation de pouvoir décevante, à l'image des grands discours socialistes ». Quels étaient les griefs ? Copé les détaillait: Hollande aurait été inélégant et sectaire « au moment où il refuse de raccompagner Nicolas Sarkozy jusqu'à sa
voiture, comme la tradition le veut » « L'inélégance et le sectarisme,
c'est donc cela, la "normalité" de François Hollande ? ». Pire, il aurait déjeuné avec des anciens premiers ministres socialistes (vrai, mais il n'y avait pas qu'eux et voulait-il qu'on invite aussi Fillon et Balladur ?). Pire encore, Hollande se serait exclusivement adressé « au peuple de gauche ». Avions-nous écouté les mêmes discours ? François Hollande s'était-il précipité sur les tombes de Léon Blum ou de Rosa Luxembourg ? Même pas.
Copé n'avait que mesquineries et rancoeurs.
Autre symbole, dès le soir, Hollande partait vers l'Allemagne. Son premier vol prit littéralement la foudre et du rebrousser chemin. Il y retourna aussitôt. A Berlin, nul mépris, nulle « méprisance » d'Angela Merkel à l'encontre de celui à Sarkozy reprochait de n'être pas Président avant l'heure. Le mandat fait le président et Hollande fut évidemment reçu avec les honneurs qu'i fallait. Rien n'est joué, tout est à négocier, mais le contact était là. Plus tard dans la soirée, les deux firent une conférence de presse commune. L'ambiance semblait suffisamment chaleureuse pour des discussions normales. Sur le fond, quelques points d'accord (la Grèce dans la zone euro, davantage de croissance), mais la renégociation du fameux traité ne fait que commencer. A Paris, François Fillon avait été remplacé par Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes et président du groupe socialiste à l'Assemblée.
Nous attendions, faussement, le prétendu effondrement du pays promis dans les deux jours suivant l'entrée en fonction de François Hollande.
Il restait encore 24 heures pour que la prophétie outrancière de Nicolas Sarkozy se réalise.