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2011, année toxique ?

Publié le 27 décembre 2010 par Rolandlabregere

Le langage est le premier support d’une citoyenneté de participation à la vie sociale et d’adhésion aux valeurs premières d’une société. F de Saussure, fondateur la linguistique moderne précise dans son Cours de linguistique générale (1917) que « dans la vie des individus et des sociétés, le langage est un facteur plus important qu’aucun autre ». Le langage est l’outil premier d'une citoyenneté active et responsable. Il serait, mentionne-t-il « inadmissible que son étude restât l’affaire de quelques spécialistes ; en fait, tout le monde s’en occupe peu ou prou ». 

Parmi les mots en émergence au cours des derniers mois, l’adjectif toxique s’impose en bonne place. L’inventaire des substances ou des effets toxiques s’agrandit sans cesse. Le premier synonyme qui vient à l’esprit est poison. A toxique est associée la notion de danger. Si certaines plantes sont naturellement toxiques, les algues qui recouvrent les plages bretonnes sont toxiques par la présence de résidus chimiques dans l’eau. Les boues rouges toxiques qui se sont déversées dans le Danube résultent d’une catastrophe industrielle. Des nuages peuvent être toxiques. Ce qui est toxique est à la fois un produit et un processus. Les jouets contiennent des substances toxiques. Ils sont devenus toxiques par l'incorporation de produits suspects ou reconnus comme cancérigènes. Notons que toxique se suffit à lui-même. Tel produit est toxique par sa composition, ses effets...  A contrario, un produit sain, propre ne peut être que non toxique. Superbe renversement, il s'agit alors de dire, d'afficher ou de prouver de toutes les manières que cette marchandise "ne contient pas de dérivés de...", "est sans...." . Le produit sain est sans ; le produit toxique est avec. Le premier doit s'afficher. Le second fait silence. La mercatique ignore la morale. Normal, mercatique morale sonnerait comme un oxymore. A elle de prouver son caractère non toxique.

La vie des mots s’organise en cohérence avec le développement des maux de la vie. Toxique relève de ce processus. Le glissement progressif de l’adjectif toxique de situations délétères à d’autres contextes souligne la place des formes immatérielles à l’œuvre dans le champ de la postmodernité.

Utilisé dans le vocabulaire militant de la décroissance, toxique comme possible synonyme de nuisible, élargit son aire sémantique. Les emprunts spéculatifs contractés par des collectivités sont dits toxiques parce qu’ils sont adossés à des « produits risqués, volatils et opaques »  . Les psychologues ont souligné le caractère toxique de certaines configurations parentales[3]. L’attelage parents/toxique dévoile un oxymore extrême. La non-toxicité du parent, de la mère, la "good enought mother" selon Winnicott[4], repose sur un juste milieu affectif.

La capacité d’influence d’une personne sur une autre fonde le caractère toxique d’une relation. Il n’est donc pas étonnant que, dans le cas de situations hiérarchisées, de manipulation ou de soumission imposées dans le cadre du management inspiré par de nouvelles méthodes de gestion des ressources humaines, la dimension toxique de certaines activités soit évoquée. Les relations sociales, professionnelles ou familiales, peuvent être déclarées toxiques.

C’est par un usage en extension que toxique prend le large. Dans des environnements sociaux, économiques, relationnels en recomposition l’adjectif toxique pourrait qualifier des situations jusque là préservées des méfaits de l’altération.

Usages et fréquence d’utilisation à observer dans les prochains mois dès lors que la souffrance et la douleur sont perçues comme des expériences sociales inédites.


[1] Dette toxique : le maire de Saint-Etienne alerte Bercy, Le Monde, 7 décembre 2010, p.10

[2] Id.

[3] Forward S., Morel I., Parents toxiques Réussir à se libérer de leur emprise nocive, Marabout, Paris, 2007.

[4] Winnicott D., La mère suffisamment bonne, Poche Payot, Paris, 2006.


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