Oxymores en vente libre

Publié le 22 octobre 2011 par Rolandlabregere

« Humanistes » : c’est une « sensibilité » qui vient de sortir. Elle est dessinée avec une conviction sincère par un groupe de 109 parlementaires qui veulent avancer les pions de la « droite modérée » et contrecarrer l’influence de la « Droite populaire ».

Voilà une belle illustration du désordre qui règne sur les mots et les appellations. Au supermarché de la communication chacun peut barboter une désignation pour être sûr qu’un concurrent ne se l’approprie pas. Si la « Droite populaire » promue par Christine Boutin veut nous faire croire qu’elle incarne l’autre façon d’être une droite, « les Humanistes », avec majuscule, mais sans point d’exclamation, veulent mettre « l’humain et l’innovation au cœur des débats ». Son promoteur, Jean Leonetti, membre du gouvernement, a choisi Le Figaro pour annoncer sa « volonté de donner du sens à la société ». Le programme est résolument ambitieux et mérite bien de se placer sous les auspices de Montaigne et Spinoza. Un tel parrainage d’ailleurs ne nous rajeunit pas !

La société de l’oxymore

« Droite populaire » et « Les Humanistes » témoignent de la vogue des procédés rhétoriques qui s’observent à foison sous le nom d’oxymore. Comment définir un oxymore ? C’est initialement une figure de style qui consiste à juxtaposer deux réalités contradictoires, à placer l'un à côté de l'autre deux mots opposés pour frapper le lecteur ou l’auditeur d’une sorte de dissonance expressive, tantôt poétique ( "le soleil noir de la mélancolie" ), tantôt ironique (« une sublime horreur »). « Cette obscure clarté », oxymore forgé par Corneille, est l’exemple issu des humanités scolaires. Il reste dans toutes les mémoires.

L’oxymore est la figure emblématique de la communication publique et de tout discours de masse. Publicité, consommation, discours politique, langue des affaires, vie de l’entreprise : de très nombreux messages sont frappés du sceau de l’oxymore. Selon Bertrand Méheust, l’expression « développement durable » est l’exemple le plus en vue pour souligner la force de cette figure. Dans son ouvrage,  La politique de l’oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde. [La Découverte, Paris, 2009],  il montre que cette expression prise au pied de la lettre « contient sa contradiction ». Considérons l’usage fréquent de l’oxymore « développement durable » dans l’univers des médias.  L’expression est porteuse de valeurs fortes et positives. Que cache le consensus apparent de cette figure ?  Que signifie-t-elle si nous ne nous arrêtons pas à son seul énoncé ? Sans doute, que notre soif de croissance conduit à la société à vouloir produire toujours plus de biens matériels, mais qu’il s’agit d’un modèle de développement inconcevable dans un monde fini alors que le développement est pensé comme infini. Pour Bernard Menheust, « développement durable » est un slogan qui « peut devenir un outil de propagande ». L’oxymore a pour fonction de « maintenir les esprits captifs de l’illusion que la société peut continuer dans la voie dans laquelle elle est engagée, avec seulement des retouches, même importantes ». C’est, selon l’auteur, une illusion.

Les humanistes associés

Un oxymore bien trempé a une fonction de rêve et d’apaisement. Elle ne peut pas être mauvaise cette Droite, puisqu’elle est populaire ; sans doute est-elle même un peu humaniste ! Les « Humanistes » sont sans doute populaires au verso ! Quand on veut qu’un slogan soit mémorisé, le recours à l’oxymore s’avère être une recette qui marche. La mémorisation d’une formule contradictoire est facilitée par des termes qui ne sont pas habituellement des amis de trente ans. Bernard Menheust explique que les oxymores peuvent être utilisés pour « favoriser la déstructuration des esprits, devenir des facteurs de pathologie et des outils de mensonge ». (p. 121). 

L’oxymore est séduisant : il se présente comme un numéro de claquettes bien en place. Observons quelques exemplaires aujourd’hui totalement banalisés appartenant à divers registres pour lesquels la communication est effervescente. Celui de la politique (Immigration choisie, discrimination positive), celui de la guerre (guerre propre, frappes chirurgicales), celui de l’économie (capitalisme régulé, capitalisme à visage humain, capitalisme moral, commerce éthique), celui de l’agriculture (engrais propres, croissance verte)… dans tous les cas, il s’agit de fusionner deux réalités contradictoires. L’usage de l’oxymore favorise la destruction des catégories et produit l’illusion de la simplification du réel.  

De l’oxymore à "l’oxyphore"

L’oxymore, c’est le grand marchand de sable de la communication publique d’aujourd’hui. « Droite populaire », « les Humanistes » : l’auto-qualification fait office de certificat d’authenticité. S’annonce une période dense en usages des techniques de communication. Les oxymores vont s’épanouir. A observer de près les slogans, les formules choc, les petites phrases, les épithètes chic aux effets froufroutants redoublant de démonstrations transparentes, d’évidences subtiles, de spontanéité travaillée, de profondeur limpide, d’audace raisonnable, d’ambition partagée, de convictions mesurées, de finance éthique, d’alliances sincères, de promesses assumées, de rigueur pour tous, de mondialisation apaisée, de fiscalité douce, d’efforts passagers, de contraintes acceptées, de gouvernement à l’écoute, de capitalisme social, de décisions transparentes, d’Europe sociale, d’humanisme pragmatique…

« Les Humanistes » est une invention d’une grande force puisque l’oxymore est incomplet : il lui manque son adjectif qualificatif. C’est l’invention de l’oxymore métaphorique. Nommons-le « oxyphore »,  superbe de promesses et de rêves puisqu’il peut être utilisé par simple mention. La contradiction est banalisée. On se désigne comme « Les Humanistes » et on promeut une politique antisociale. "L’oxyphore" est donc une figure qui consiste à  juxtaposer deux réalités en tension dont l’une est manquante. Jusqu’à présent, cela n’était en vente que sur le Catalogue des objets introuvables.

http://mitchul.unblog.fr/2008/10/03/catalogue-dobjets-introuvables-jacques-carelman/

Les communicants de la Droite populaire et ceux des « Humanistes » sont des créatifs modestes. Ils ont inventé la présence absente.