Tout au long de l’année 2011, les journaux et les nouveaux médias ont joué leur fonction initiale, celle de diffuser une information qui contribue à l’éducation et à une meilleure insertion dans la vie sociale. Des événements de grande importance dans de nombreux registres ont poussé sur le devant de la scène des mots jusqu’alors plutôt actifs en coulisse. La lecture de la presse, selon Bertrand Poirot-Delpech longtemps chroniqueur littéraire au Monde, affine la « conscience citoyenne » car en mettant « des mots sur toutes les choses, le journal nous réapprend la matière même de nos consciences ». Connaître et maîtriser le vocabulaire lié aux enjeux de la société, c’est se donner la capacité d’accéder au sens commun et de participer au débat… à condition de savoir garder quelques distances avec les procédés de la communication de masse. L’année 2011 offre un bilan lexical de bon niveau. Focus sur quelques tendances vives et quelques mots qui se sont imposés ou qui ont pris un nouveau départ.
Des euromots à la volée
Les vicissitudes de l’Europe ont mis en piste l’eurofatalisme. Le terme s’était un peu assoupi depuis le référendum sur le Traité européen. En 2005, les eurocrates avaient dûment chapitré ceux qui avaient préférés exprimer leurs doutes et leur colère plutôt que de voter comme il était demandé. La politique européenne a engendré les euromantiques qui sont regardés de haut par les biens connus eurosceptiques. Ces derniers, à chaque sommet franco-allemand où les duettistes devaient sauver l’Europe (la zone euro ou l’eurozone ou euroland pour les médias audio-visuels) à intervalles réguliers, étaient loués par les europhiles après que le devenir des euro-obligations fut mis au centre des débats concernant l’eurogouvernance. On le voit, les préfixes apportent beaucoup à l’Europe. C’est à l’introduction de la monnaie commune que le vocabulaire doit de s’enrichir d’une pléiade de mots nouveaux. A la veille du 1er jour de l’euro, l’eurofolie avait désigné les comportements des banques. Certains médias avaient parlé d’eurogang. Il y a là une source quasi intarissable de création linguistique. A suivre.
Nouveau mot, nouvelle vie ?
La politique de la ville, de son côté, ne gère plus les déplacements ou les transports mais s’occupe des mobilités sous l’influence de la vogue du covoiturage et des modes de déplacements alternatifs à l’automobile. De grandes métropoles et des communautés urbaines se dotent désormais de pôles mobilité chargés de l’aménagement des réseaux. Le terme consacre la dimension sociale des déplacements dans l’espace urbain. L’usage du terme mobilité(s) atteste du passage des sociétés industrielles caractérisées par la main-d’œuvre fixée par le patronat dans un urbanisme de l’immobilité à des sociétés qui réclament une main-d’œuvre en mouvement. La ville est désormais définie par les urbanistes comme un espace de mobilité.
La politique de mobilité au sein de la ville s’élabore en lien avec l’injonction à la mobilité professionnelle aujourd’hui attachée à la notion de promotion et à celle de flexibilité. Dans la ville de la société industrielle, le vagabond, qui vivait de la mobilité était perçu comme un ennemi public. Dans les sociétés en mouvement, les immobiles sont ceux qui ne s’adaptent pas à l’exigence du mouvement. Ils sont pointés du doigt et passent pour ne pas accepter les changements apportés par le capitalisme néolibéral.
Mobilité se banalise alors qu’un consensus semble se dégager pour affirmer que l’ascenseur social lui-même, s’il n’est pas toujours en panne, n’en reste pas moins d’une grande lenteur. Pour assurer sa mobilité sociale, il est judicieux de savoir trouver la porte de l’escalier de service.
Les bons mots de la science
L’information scientifique ouvre la porte à de nombreux mots qui passent ainsi du cabinet des savants à la place publique. Toutes les disciplines ont versé leur contribution.
La physique contemporaine est de celles-ci. Des mots font rêver pour leurs capacités à nous faire entrer dans une nouvelle dimension de la connaissance. Les neutrinos sont des particules qui, bien qu’élémentaires, n’en sont pas moins attractives et sidérantes. Michel Houellebecq le sait-il ? Elles sont supposées courir plus vite que la lumière. Elles tirent la langue, en signe de sympathie et de reconnaissance, à l’oncle Albert qui ne démord pas de sa formule magique E=mc². Validations, puis contre validations à venir. Il va falloir attendre un peu pour en savoir plus. Les bosons nous sont désormais moins étrangers même si le boson de Higg reste pure énigme. Autre mot tombé du ciel sans prévenir : les exoplanètes d’une taille comparable à celle de la Terre s’installent dans l’imaginaire que nous vouons au cosmos. Trois exemples de mots apparus récemment qui se dévoilent comme la queue de la comète à notre émerveillement.
La biologie n’est pas en reste et surfe sur les événements naturels pour rappeler que nommer des faits facilite leur appropriation. Ainsi Le Populaire du Centre, quotidien de Limoges, (30 octobre 2011) dans un article de vraie vulgarisation sur les aléas du climat et sur le fait que l’été a eu du mal a prendre ses quartiers d’hiver décortique le phénomène de l’abscission qui touche les feuillages en fin d’automne. L’abscission est leur chute finale. Le même article explique que les changements de couleur des frondaisons en automne résultent d’une diminution de la photopériode. Quand la chlorophylle et certaines molécules sont dégradées de nouveaux pigments apparaissent : l’orange des carotènes, le pourpre des anthocyaniques et le jaune des xantophylles.
Exotiques, mais désormais bien de chez nous
Parmi les mots propulsés sous les projecteurs à la faveur de l’agitation lexicale pré-électorale, tabou, s’offre une nouvelle vie en étant associé à des expressions dont les médias (surtout la télé) et les politiques sont gourmands. Voilà un mot qui a voyagé et a su tirer parti de la mondialisation lexicale. Venu de Polynésie, il glisse dès le 19ème siècle du substantif à l’adjectif, du registre des croyances à celui de la vie courante. Sous l’impulsion des sciences sociales, il reprend un statut de substantif pour décrire les réalités des sociétés occidentales. Aujourd'hui, par les expressions telles que « Il n’y a pas de question taboue », « il n’y a pas de tabou », « la faillite de la Grèce n'est plus taboue », « il n’y a pas de question taboue, on met tout sur la table », ou par l'usage courant « débattre du coût du nucléaire n'est plus tabou» (Le Monde05012012), c’est sous forme d’adjectif qu’il est majoritairement employé. Il est synonyme d’interdit mais aussi de possibilité reconnue, de démarche partagée, de liberté de parole. Pour certains débats, cela signifie qu'une page est tournée. Il s’applique à tous les registres sans hiérarchisation. En se banalisant, sa force sémantique s’est largement euphémisée. La fin annoncée des questions taboues serait-elle devenue la formule magique des communicants ? Il suffirait de proclamer que tel problème serait tabou pour qu’il soit objet d’un discours de vérité. L’interdit devient alors support du discours. Pas mal pour un tabou ! La fin des tabous préfigure-t-elle la transparence totale ? L’ère du creux plus que l’ère du vide ?
Mention spéciale à zombie que personne n’attendait. Le mot appartient à la tradition haïtienne. Il s’impose comme personnage fétiche des jeux vidéo. Des manifestations de morts-vivants ont lieu à New-York et à Dublin. Le mot est repris par des groupes libertaires qui s’emparent de la figure du zombie qui personnifie selon eux la décadence du capitalisme d’aujourd’hui caractérisée par l’excessive consommation. Ils prônent la dézombification de la société. N’y-a-t-il pas là un sujet tabou ?