Trois lettres en forme d’un sigle qui sonne bien camouflent un mot long comme un jour sans joie. L'acide désoxyribonucléique, constituant dugénome des êtres vivants, est l’agent qui transmet en totalité ou en partie l'information génétique héréditaire lors de la reproduction. Cette qualité inspire respect et fascination. En quelques années son abréviation s’est imposée dans la déclinaison des professions de foi et des auto-appréciations laudatives. Quoi de plus exemplaire, en effet, que cette chaîne qui contient sous forme codée toutes les informations qui caractérisent chaque organisme vivant ? L’ADN, c’est du solide. Par mimétisme ou adhésion à une tendance portée par les médias, l’engagement est associé l'image de deux longs filaments torsadés l’un dans l’autre qui débouchent sur l’image d’une double hélice. Passions, engagement, appartenances, convictions, racines, parcours biographique… l'usage métaphorique de l’ADN est le vecteur parfait de la mise en scène de soi, de la consolidation de sa réputation ou encore de son ancrage idéologique ou spirituel.
La mercatique a été la première à tirer parti de la nature irréprochable de cette molécule qui sert du support à l’information génétique. En énumérant les composantes fondamentales et indissociables de l’identité d’une firme ou d’une multinationale, les commerciaux parlent de l’ADN de la marque. Les anglophones traduisent par brand ADN. La formule a gagné la galaxie des médias. S’y référer revient à graver son discours dans le marbre d'une certitude conférée par la science dont l’authenticité est admise par tous.
Du côté des people, l’ADN s’impose comme un marqueur de la qualité de soi. Son évocation permet de se décrire sans fard, de se montrer bien droit dans ses souliers et d'avoir du caractère. C’est ce qu’énonce l’animatrice de télé, Laurence Buccolini, en reconnaissant aimer « bien égratigner ». L’explication ? « Ça doit faire partie de mon ADN ». Son compère de Canal+, Antoine de Caunes, invente l’ADN croisé, tendance je t’aime moi non plus, « Canal fait partie de mon ADN, de la même manière que je fais partie de l’ADN de cette chaîne ». Les journalistes y recourent pour affirmer leur fidélité envers leur chaîne « Mon ADN d’aujourd’hui, c’est France 2 », confie Laurent Delahousse. http://www.parismatch.com/Actu-Match/Medias/Actu/Laurent-Delahousse-JT-France-2-267135/
Les politiques l’invoquent sans modération jusqu’à lui attribuer la capacité d’attester l’incroyable. Tel, Hervé Morin, ancien ministre, né en 1961, qui a déclaré lors d’un meeting à Nice avoir assisté au débarquement des Alliés en 1944, soit 17 ans avant sa naissance. Décoder le chaînon de l’hérédité en sens inverse permet de remonter le temps. C’est l’ADN en sens friction ! Que dit notre petit homme vert tenté par le jeu dans le bac à sable ? « Le débarquement est dans mon ADN ». (LEXPRESS.fr, publié le 25/01/2012). Sur une radio périphérique, il confirme bien qu’il s’agit d’une réponse toute à fait naturelle : « Et ce n'est pas du tout une maladresse, c'est simplement un raccourci de quelque chose qui est profondément ancré dans la rétine de chaque Normand, c'est notre ADN, notre code génétique ». Pour Eva Joly et son parti, c’est la sortie du nucléaire et l’abandon de l’EPR comme projet politique indépassable qui forment « notre ADN, notre tâche historique ». http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/sortie-du-nucleaire-eva-joly-c-est-notre-adn-notre-tache-historique-10-11-2011-1494863.php
Les chefs d’entreprise et les managers se sont appropriés la formule en valorisant la singularité de produits sans concurrents au regard des performances et des atouts. Ainsi, le lancement des consoles 3DS et l’annonce de l'arrivée de la WiiU donnent lieu au rappel des fondamentaux de la marque Nintendo dont « l’ADN, c’est le gameplay », manière de dire que les produits de cette marque sont inséparables du plaisir procuré par l’usage des consoles. Pour afficher sa zone de pouvoir au sein d’un organigramme, la mention de l’ADN est d’un usage plus simple que le recours au vocabulaire de la gestion des organisations. « Mon ADN est plutôt du côté du développement et du marketing de produits ou services à forte composante technologique », dit un responsable d’unité d’une entreprise innovante.
Les créateurs évoquent une énergie inépuisable qui donne sens à la vie. Nafissatou Dia Diouf, écrivaine sénégalaise, déclare que l’écriture est un élément vital, « presque autant que l’oxygène ». Ecrire, précise-t-elle, « est inscrit dans mon ADN ». Le poète Pierre Doris aime quant à lui retrouver régulièrement ses racines luxembourgeoises. Son attachement au Duché est « plus que viscéral ». Le paysage « grand-ducal est en moi, dans mon ADN », déclare-t-il. De son côté, Pascal Petit, journaliste de télévision, insiste pour rappeler son approche du métier où « l'écriture est dans mon ADN ». Artiste, Yannick Alléno, l’était assurément bien avant d’obtenir sa troisième étoile au guide Michelin. Mentionnant son besoin de travailler dans un univers « de perfection absolue », il fait en sorte que ses cuisines soient « impeccables ». Ainsi, dit-il, « La propreté fait partie de mon ADN ».
Au terme de cet inventaire inachevé et désordonné des activités où l’ADN est mobilisé à titre de témoin des hautes qualités morales et professionnelles, c'est une psychothérapeute toulousaine qui associe sur la plaquette de présentation de ses principes « ADN professionnel » et « valeurs » dans le travail. Se référer à l’ADN pour faire entendre sa différence participe de la tendance elliptique de la langue. Communiquer en mode slogan. C’est mon ADN, est un millefeuille sémantique fait d’indiscutable, d’indéniable, d’irréfutable, d’incontestable, d’irréprochable, d’inaliénable, d’intouchable, d’intangible…
L'humoriste Fellag, à qui certains reprochent de n’être ni assez socialiste ni assez nationaliste, s’écrie « J’ai l’Algérie dans le sang. C’est mon ADN ». Avant de préciser, pour bien mettre les pendules à l’heure qu’il est « ADN, Algérien démocratique et national». L’ADN, dans un inattendu usage à contre-emploi, crée la surprise, donc l'humour. Son compère marocain, Tarik Bakhari qui tient le premier rôle dans le film Opération Casablanca exprime un incroyable art de la grimace. D’où tient-il ce registre de grimaces ? C’est, dit-il, « dans mon ADN. Mon grand-père, Allah Yrahmou, était chanteur de ahwach et, à l’occasion, dans des fêtes, il faisait des sketchs ». L’ADN version irrésistible.
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