Chaque nouvelle journée nous rapproche de la fin du quinquennat mis en musique et mené sabre au clair par le Président de la République. Soit parce que le temps presse, le sablier devant marquer prochainement la fin d’une longue période de 1827 jours (deux 29 février compris), soit parce qu’en cas de récidive, être averti vaut compréhension des décisions proclamées, les médias et les commentateurs s’activent pour évoquer et définir la nature du sarkosysme.
Chaque président de la Vème République a généré un substantif où le suffixe « isme » laisse voir une doctrine, une conceptualisation idéologique qui permet de qualifier l’approche singulière des questions rencontrées au cours du mandat. Chaque « isme » présidentiel cherche à affirmer son originalité, sa consistance et sa respectabilité Il y eut de Gaulle et le gaullisme. Son successeur Pompidou pour éviter le carambolage de voyelles disharmoniques, dût se résoudre à une création linguistique inédite, le pompidolisme, pour faire valoir la particularité de sa pensée et de son système politiques. Les présidents suivants engendrèrent vaille que vaille les substantifs qui leur permirent de caresser la postérité. Giscard se déclina en giscardisme. La particularité du mitterrandisme fut d’exister avant que François Mitterrand n’accède à la fonction présidentielle. En effet, le mitterrandisme se réfère chronologiquement d’abord à l’activité déployée pour rassembler les différents courants de la gauche en vue de la conquête du pouvoir. Le mitterrandisme existera ultérieurement dans le déploiement d’une politique intérieure modernisatrice et dans une politique étrangère favorable à la construction européenne. Le chiraquisme n’encombre pas les mémoires de souvenirs radieux. La doctrine sonne le creux. Son suivant est présentement sous les spots médiatiques pour que soient clairement énoncées ses capacités et déclinées ses aspérités.
Chaque « isme » devrait en toute logique faciliter l’émergence de disciples ou de thuriféraires tout en « istes » et en « iens », suffixe qui introduit l’idée d’imitation, de reconnaissance ou de filiation. La langue sait parfois être espiègle : il y eut bien la possibilité d’être gaulliste, mitterrandiste et d’agir à la manière de, en un geste gaullien ou mitterrandien. Les aficionados du président Chirac durent se contenter d’être des chiraquiens et non des « chiraquistes ». Il en fut de même pour son ami Giscard qui ne connut pas non-plus la double substantivation. Peut-on, pour interroger cette anomalie lexicale, se tourner vers l’exemple de Freud pour lequel freudien est le terme qui désigne à la fois les disciples qui se reconnaissent dans la doctrine et ceux qui placent leur vie sous les auspices de la psychanalyse ?
Le sarkosysme est autopsié sur le marbre des quotidiens, passé au crible des analystes et des sondeurs. Les uns le voient en libéralisme, d’autres en pragmatisme avancé quand les plus audacieux le décrivent comme une philosophie de l’action. Etre lexicalisé par un « isme » tapageur confère respectabilité et reconnaissance publiques. C’est une étiquette qui désigne un produit appelé, comme toute marchandise, à se périmer plus ou moins rapidement.
Le sarkosysme existe surtout par les commentaires qu’il suscite. C’est d’évidence un objet hybride. A l’observation, il apparaît comme une manière de décider, de se comporter comme représentant du peuple, de réaliser une mise en scène de soi, entre contentement et suffisance. Des formules au pochoir mettent en scène ce qui s'affiche comme une pensée de l’action et qui à l’usage se trouve être un ensemble d’instruments de dévalorisation des institutions et des personnes. Présenté comme le résultat d’une attitude décomplexée, il ne va pas plus loin que l’affectation binaire. Une pensée qui revendique le bon sens pour perpétuer la domination. Les français qui se lèvent tôt sont infiniment meilleurs que ceux qui se couchent tard. Les premiers savent bien ce qu’ils n’obtiennent pas en travaillant plus. Entre petites phrases inappropriées et propos pressurisés, le sarkosysme se survivra dans des discours, modèles déclamatoires qui, de Dakar à Grenoble, ont montré la nuit abyssale de son projet. Le sarkosysme est le seul des "ismes" élyséens à avoir suscité une infinité de sous "ismes" éloquents : bougisme, girouettisme, outrisme, bolloréisme, fouquétisme, peopleisme.... Ces succédanés peuvent lui assurer une postérité.
Avec les « ismes », la vigilance est de rigueur. L’arroseur peut être l’arrosé. Jacques Audiberti, écrivain du XXème quelque peu oublié aujourd’hui, emprunte à un écrivain italien, Benjamino Joppolo, la théorie de l'abhumanisme. Comment définir cet « isme » incongru ? Audiberti explique qu'il décrit « l'homme acceptant de perdre de vue qu'il est le centre de l'univers ». Le propos de l’abhumanisme est, dit l’auteur, « d’amoindrir le sentiment de notre éminence, de notre prépondérance et de notre excellence afin de restreindre, du même coup, la gravité sacrilège et la vénéneuse cuisson des injures et des souffrances que nous subissons. Si, malgré tout, nul adoucissement pratique ne se produit, si nous demeurons incapables d'abolir le mal, il n'en est d'autre que physique, nous aurons du moins su mettre à profit le jeu des mots, l'espace libre, ou vide, entre les objets vocabulaires, pour exprimer que nous détestons toute doctrine, toute drogue qui, nous attribuant, même à bon escient, une élévation particulière dans la hiérarchie de la vie, ne ferait qu'augmenter le poids de nos douleurs.» (L’abhumanisme, p 35, Gallimard, 1955).