Pas de doute, les machines à fabriquer les rhétoriques, dotées de commandes numériques activées par les communicants, se sont enhardies dès 20 heures, dimanche soir 22 avril. Sur les plateaux télé, sans vergogne, ministres et apparatchiks du parti majoritaire sont à la manœuvre à tour de rôle. Formules qui veulent faire mouche (toutes ne sont pas sans intérêt), phrases à vocation assassine, arguments bien ciblés vers les électeurs FN, sont servis avec la même conviction monotone. Chacun commet sa prestation puis disparaît discrètement, vers un autre plateau ou studio radio.
Les préparatifs de l’image choc du 20 heures annonçant le résultat, tradition installée depuis le 2ème tour de 1981 ont dévoilé les connivences et copinages entre les gouvernants et les médias. Accueillant une ancienne ministre, le responsable de la chaîne publique lui claque deux bises bien en vue des caméras. Comme il faut meubler le temps d’antenne, le téléspectateur est invité dans la loge de l’ex-ministre pour assister à son maquillage. Le citoyen est poussé dans les coulisses de la communication, dans l’intimité des politiques assignés à des missions de porte-voix. Sans être l’unique explication du vote extrémiste, cette porosité entre les médias et les politiques se lit comme une clé de la distance que prend une part importante des citoyens vis-à-vis des codes de la vie politique. Les exclus et les victimes de l’arrogance de la finance sont aussi écartés des mots, mis à distance de la facilité avec laquelle les gens à forte visibilité partagent un entre-soi insolent.
Seules les déclarations des candidats depuis leurs sièges sociaux troublent le bel ordonnancement des missi-dominici élyséens. « Priorité au direct », annonce l’animateur. Une image nouvelle apparaît. Les candidats usent des mêmes procédés pour chauffer la salle. Reconnaissons toutefois que certains sont plus sympathiques que d’autres. Le plus étonnant dans ce concert de mots et de petites phrases est le détournement des rhétoriques, les emprunts croisés, les formules qui ont déjà fait mouche sont recyclées et reprises là où elles ne sont pas vraiment attendues. L’heure est au brouillage sémantique. Quand Marine Le Pen conclut son intervention, dimanche 22 avril, par un étonnant « Ce n’est qu’un début, continuons le combat », elle montre qu’elle veut ancrer son positionnement dans une rhétorique de contestation des partis traditionnels. Elle se pose en récupératrice des slogans de la révolte.
De leur côté, les séides du candidat sortant se pressent sur les plateaux télé pour convoquer la rhétorique des peurs. Celle-ci est faite d’outrances, de chiffres caviardés, de scénarios catastrophes, d’arguties en grosse maille. Cette rhétorique est vieille comme la droite. Le procédé a eu par le passé de bons résultats pour ses initiateurs. Il consiste à faire peur aux fragiles pour qu’ils n’aillent pas vers ceux qui pourraient les protéger. L’emphase et la simplification condescendante sont les moyens d’orner les discours dans un but d’émouvoir ou de séduire.
« Le combat continue », déclare pour sa part, le chef du parti majoritaire. Il enfourche dès le lendemain, sur différentes radios, sa figure de style préférée, la métaphore, pour discréditer le favori : « Hollande ne pourra plus jouer à l'anguille ». La métaphore est plébiscitée pour désigner l’adversaire socialiste : facile d’emploi, elle a l’avantage de produire un effet immédiat par transfert de sens. Elle est la reine des déclarations courtes destinées à être reprises par les médias. Elle n’est toutefois pas la seule figure mobilisée. Le même a recouru à l’épanalepse en interrompant la maire de Lille, dans un débat à chaud dimanche 22 avril, une bonne dizaine de fois par la même question : « Et le vote des étrangers ? ». La répétition de manière obsessionnelle d’une question avec fébrilité et sourire feint dévoile l’intention de déstabiliser l’autre. L’arroseur peut vite se rendre compte que le tuyau est crevé. L’art oratoire n’est pas mobilisé par ceux qui veulent sauver les meubles. Quand J.F Copé use de l’épanalepse, Jean-Luc Mélenchon tient en haleine la foule rassemblée à La Bastille. Par une épanadiplose, il explique les raisons de sa décision quant à sa position pour le 2ème tour. « Voilà ce que nous allons faire ! Et parce que nous allons le faire, alors, il sera clair, net et sans bavure que c'est nous qui faisons les décisions dorénavant, à gauche, et dans le pays ! ». La répétition du verbe faire crée une insistance, qui dans l’esprit de l’orateur vise à montrer le caractère définitif de la position arrêtée. Le leader de la gauche a revivifié, tout au long de la campagne, l’image des politiques qui portent les chaleureuses paroles de la solidarité et de la ferveur citoyenne.
Si les excès de parole sont commentés, rien n’est dit sur l’expression par les corps et le non-verbal. Les jours qui viennent de s’écouler et ceux qui restent jusqu’au 5 mai sont propices à la saturation des prises de parole, des réponses, des ripostes et des esquives. Trop de messages calculés, élaborés en laboratoire, calibrés selon les tranches horaires et les auditoires échantillonnés. Les médias assaillent les citoyens. Celui qui gagnera sera celui qui saura marier les finesses du discours avec la consistance de son projet. Les mots trahissent les arrière-pensées comme les gestes oratoires en disent long sur les pensées secrètes. Celui qui gagnera sera celui qui mettra en harmonie son verbe et sa gestuelle. Perdra celui qui s’enfermera dans la gesticulation des mots.