Le jour se lève très tôt au Japon - moi aussi - ce qui me permet d'effectuer une visite très matinale dans le parc du Senso-ji qui se trouve à deux pas du ryokan. Aucune trace des agapes et festivités de la veille : plus de structures, aucun détritus. L'extrême propreté des lieux publics se remarque immédiatement au Japon.
Aucune trace non plus des SDF qui ont passé la nuit sur des cartons dans la galerie marchande d'Asakusa : beaucoup de personnes très âgées - enfin qui semblent très âgées - qui survivent en marge de la société et ne pratiquent pas la mendicité. Au Japon seuls les moines sont autorisés à mendier. Ce qui ne m'empêchera pas de leur faire très discrètement quelques offrandes : un peu d'argent et de nourriture.
Toujours dans la galerie marchande d'Asakusa, une autre singularité japonaise : la reproduction en plastique des plats, aussi vrais que nature. Cela facilite le choix du restaurant et du menu lorsqu'on ne connaît pas suffisamment la cuisine japonaise.
Là, je fais le trajet au pas de course ! Après un petit-déjeuner à l'occidentale - je n'étais pas encore apte à ingurgiter un petit déjeuner typiquement japonais - direction Shinjuku, Shibuya et Ginza.
Voila un exemple de petit déjeuner japonais ; si ça vous parle ...
Se déplacer à Tokyo est relativement facile, il suffit de repérer la couleur des lignes et de comprendre le fonctionnement des distributeurs de tickets de métro et autre Yamanote. Là encore, pas de problème : si on vous sent dans l'embarras, il y a toujours quelqu'un prêt à vous aider. Une fois qu'on a compris le système, c'est vraiment très aisé, et si par hasard on a fait une erreur sur le montant du ticket, il y a des "fare adjustment" à chaque sortie. Il suffit de payer la somme manquante et la machine fournit un ticket complémentaire pour passer le portique en "toute légalité" ;)
La visite de Shinjuku sera très brève : c'est un quartier auquel il faut consacrer au moins une journée et surtout y rester en soirée. Mais ne sachant pas encore très bien m'orienter dans la ville, je choisis de ne pas trop m'éloigner des abords du métro.
Shibuya et la fameuse statue de Hachiko : un excellent repère, juste en face du célèbre carrefour, pas très fréquenté à cette heure.
Le "chic" français s'exporte bien ;) Enfin, là c'est un love hôtel et un hôtel capsule : lieux propices aux etreintes furtives et improbables cellules de dégrisement à l'occasion de soirées trop arrosées.
Déjà la queue devant le pachinko, alors que d'autres vacquent à leurs occupations. L'industrie du pachinko a l'air très rentable ; enfin, je ne parle pas des joueurs ....
Le vélo est un moyen de déplacement très courant dans les rues de Tokyo, enfin, sur les trottoirs, plutôt ;) Quand on est un simple piéton, il est important d'apprendre à slalomer entre les vélos qui déboulent sur vous à toute allure ...
Je découvre les douceurs japonaises (pas que ...) au sous-sol d'un grand magasin, le raffinement de la présentation, les yokan et les divins wagashi. Encore une particularité japonaise.
Enfin, Ginza, l'un des quartiers les plus huppés de Tokyo : larges avenues, voitures, boutiques et restaurants de luxe et un magasin incontournable, Ito-Ya, spécialisé notamment dans le papier japonais, le washi : neuf étages, me semble-t-il, où j'ai passé des heures à choisir des petits carnets aux dessins et à la calligraphie délicates, des sets de papier à lettres, du papier à origami, des crayons, des cartes, etc. de quoi ramener de beaux o-miyage (cadeaux) en France.
Déjeuner à Ginza, au restaurant Kondo - Sakaguchi building : tempura chazuke (beignets de crevettes servis sur du riz arosé de thé vert). Un repas relativement frugal ...
A la fin de ces journées harassantes, on apprécie les bienfaits du bain commun où l'on peut se prélasser avant d'aller dîner et même se coucher sans dîner car le bain à 40° ça vous coupe les jambes et, associé à la fatigue, l'appétit ;) A Tokyo il y a des sento dans les ryokans, dans certains hôtels, mais il existe aussi des sento de quartier : c'est le cas notamment à Asakusa, Ueno, Azabu juban, Ibebukuro, etc.
Est-ce une belle ville ?
J'ai débarqué, consigné mon bagage à "Tokyo Central" et suis parti au hasard dans cette ville interminable, une brosse à dents dans la poche. C'était un bonheur de marcher dans ces longues avenues rafraîchies par le vent en regardant les visages. Toutes les femmes avaient l'air lavées, tous les passants semblaient s'acheminer vers une destination précise, tous les travailleurs travaillaient et où l'on trouvait partout des boutiques minuscules qui offraient pour quelques yens un café fort et bon : petits miracles auxquels, après deux ans d'Asie, j'avais cessé de croire.
Cet après-midi-là j'ai bien marché vingt kilomètres au hasard dans la ville. L'air était délicieux. J'ai visité au passage une exposition de photos japonaises d'un goût si exigeant que rien n'y bougeait plus. J'ai regardé les voitures de pompiers passer à toute allure dans des tourbillons de feuilles mortes. Leurs cloches de bronze sonnant à la volée, l'air d'aller à la fête avec leurs grappes de petits hommes noir et rouge accrochés aux échelles, coiffés de casques à protège-nuque comme les guerriers de Gengis Khan. Je me suis reposé les pieds dans une église russe en écoutant des choeurs assez nombreux et véhéments pour absoudre la ville entière. Ces avenues sans plan, ces entrepôts, ces librairies noires de monde, cette marée de jardinets, de maisonnettes inégales qui venait battre contre un canal croupi, contre un bloc d'immeubles ultramodernes, contre le ballast d'une voie ferrée ... après huit heures de promenade, je me demandais encore si cela faisait une belle ville, ou même une ville tout court. Puis le soleil est descendu en se gonflant dans un ciel orange, dessinant en silhouette la ligne incongrue des toits, la folle écriture des antennes, des fils électriques et des ballons publicitaires contre un horizon qui virait au rouge, puis la pluie multicolore des néons. J'ai cessé de me poser des questions.
Extrait de "Chronique japonaise" (1989)
Nicolas BOUVIER
Photos à Tokyo, juillet 2006