Automne 2010, paraît un minuscule opus de 32 pages. Il est écrit par un certain Stéphane Hessel, résistant, de père juif et défenseur des droits de l'homme.
Intitulé Indignez-vous!, il ne comprend aucune idée neuve, mais il tombe à pic. Et l'injonction du titre connaît le succès que l'on sait.
Car, signe des temps mauvais, le chômage augmente dans tous les pays développés et frappe les plus démunis. La faute aux banquiers, aux politiques, aux corrompus! L'indignation anticapitaliste et populiste contre ces boucs émissaires est mise en branle.
Le fait est que, le 15 mai 2011, il y a tout juste un an, les indignados, des lecteurs espagnols de Hessel, s'emparent de la place de la Puerta del Sol à Madrid et l'occupent pendant un mois. Le mouvement est lancé. Après le 12 juin 2011 il devient plus ou moins souterrain et ne resurgit samedi dernier à Madrid ici [d'où provient la photo] que pour fêter son premier anniversaire, orchestré complaisamment par les médias du monde entier.
Pour Stéphane Hessel il faut s'indigner contre le capitalisme bien sûr, mais aussi contre Israël. Il est bien placé pour en parler. Il a été résistant, son père était juif et il est un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Il est donc au-dessus de tous soupçons. Ce sont ces étiquettes dont il se targue qui lui donnent l'argument d'autorité pour parler de ces sujets, sans contestation possible.
Stéphane Hessel s'indigne que les valeurs de la Résistance française, à laquelle il a réellement appartenu, du côté des bons résistants - cela va de soi -, les progressistes, et que le parti communiste français domine alors de son ombre (après avoir pactisé un temps avec les nazis), ne soient plus à l'honneur.
Ces "valeurs", qui ne sont donc de loin pas, celles de tous les résistants français, sont:
- l'instauration de la Sécurité sociale
- la poursuite du système de retraites par répartition instauré par Vichy
- la nationalisation des sources d'énergies, des assurances et des banques
- la primauté de l'intérêt général sur l'intérêt particulier
- la défense d'une presse indépendante des puissances d'argent et des influences étrangères
- la possibilité donnée à tous les enfants français de bénéficier de l'instruction la plus développée.
Très largement ces "conquêtes sociales de la Résistance" recouvrent ce qu'il est convenu d'appeler l'Etat-Providence français, en totale faillite aujourd'hui, comme partout où il a germé à son image, sans être véritablement remis en cause nulle part.
On retrouve ainsi la main-mise de l'Etat sur les assurances, qu'elles soient sociales ou non, sur les retraites, sur l'énergie, sur les banques, sur les médias, sur l'éducation nationale etc., conjuguée avec l'omniscience des techniciens de l'Etat qui savent ce qui est bon pour les citoyens et qu'ils baptisent intérêt général, au nom duquel ils font ce qu'ils veulent.
Or Stéphane Hessel demandait dans son texte de s'indigner contre la remise en cause de ce modèle social à tendance totalitaire, remise en cause qui, implicitement, selon lui, était la cause de l'immense écart entre riches et pauvres, des atteintes aux droits de l'homme et de l'état de la planète, c'est-à-dire de son réchauffement climatique.
Les indignés espagnols, et leurs émules britanniques ou grecs, sont pathétiques parce que la crise économique n'est pas celle du capitalisme mais celle de l'Etat-Providence qui a fortement amoindri les bienfaits de ce dernier en le régulant, en le mettant sous tutelle, en l'entravant, en distribuant arbitrairement les richesses produites grâce à lui, en accordant à certains, entreprises ou particuliers, des privilèges au détriment de tous.
Au lieu de s'indigner contre le capitalisme, il conviendrait de s'indigner contre tous ceux qui, en passagers de moins en moins clandestins, et de plus en plus nombreux, invoquant un intérêt général hypothétique et subjectif dont ils sont les bénéficiaires, montent dans la barque de l'Etat-Providence au point de la faire couler.
En dehors du capitalisme l'unique objet de l'indignation de Stéphane Hessel est Israël, sur lequel des commentateurs complaisants disent qu'il fait une "fixation". Ce qui se passe ailleurs n'a aucune importance - pas un mot sur le génocide du Sud-Soudan ou du Darfour, sur la situation des chrétiens d'Orient, sur la Corée du Nord ou sur la résistance au régime de Téhéran. Ce qui se passe ailleurs n'est pas digne de son indignation à sens unique.
Dans sa réponse parue au début de cette année à l'opuscule, Gilles-William Goldnadel relève que Stéphane Hessel est un imposteur quand il est présenté dans la postface de l'éditeur, Sylvie Crossman, comme un de ceux "qui ont rejoint la commission chargée d'élaborer ce qui sera la Déclaration universelle des droits de l'homme". Pierre-André Taguieff a apporté la preuve qu'il n'en a été tout au plus que le témoin...
Dans cette même réponse Goldnadel souligne que la postface de l'éditeur "omet de préciser que la famille du grand-père de Stéphane était déjà convertie au luthérianisme depuis une génération et que sa mère était la fille d'un banquier protestant et antisémite..."
Ces impostures révélées ne sont pas faites pour consolider l'autorité morale d'un auteur qui laisse le soin à son éditeur de dire des contrevérités sur lui-même à sa place...pour mieux le vendre. Elles collent parfaitement à ce que disait Nietszche, dans Par-delà le bien et le mal, mis en exergue à son texte par Goldnadel:
"Et nul ne ment autant qu'un homme indigné."
Francis Richard
PS
L'internaute attentif et fidèle aura noté que, dans cet article, j'ai repris des passages entiers d'un article publié ici, le 16 novembre 2011, qui restent d'actualité.
Indignez-vous!, Stéphane Hessel, 32 pages, Indigène Editions ici
Le vieil homme m'indigne, Gilles-William Goldnadel, 62 pages, Jean-Claude Gawsewitch ici