Posted in Changer de vie
Regard rieur, cheveux blancs immaculés, trois fois grand-mère… Heidemarie m’accueille « chez une amie qui m’a prêté son appart ». Extérieurement, rien ne la distingue d’une autre dame de 70 ans. Pourtant, elle vit une expérience unique : cela fait quinze ans qu’elle vit sans aucun argent ! Devenue un phénomène médiatique en Allemagne, certains la voient comme un gourou, alors que d’autres se moquent d’elle à la télé.
Heidemarie prend conscience au cours de sa vie que nos richesses ne subsistent que grâce à la misère des autres et au pillage de la planète : exploitation du Sud, des plus faibles. Les riches du Nord accaparent toutes les ressources. Le clivage Nord/Sud et les inégalités la révoltent. Pourquoi n’est-il pas possible de partager, tout simplement ?
Les créatifs culturels, un déclic
« A l’époque, je travaillais comme professeure des écoles. Ma vie était pleine de peur, de doute, de colère. » Un jour, dans le journal, elle voit unarticle sur les Créatifs Culturels (1). « J’ai alors pris conscience que je n’étais pas seule, que nous étions très nombreux à désirer un changement. J’ai alors eu l’idée du système « Donne et Reçoit ». Ça a commencé très simplement : un autocollant, à mettre sur sa porte, sa voiture, son sac, et qui nous identifie aux yeux des autres.» Progressivement c’est devenu le premier SEL d’Allemagne : 300 adhérents ! Heidemarie, qui est devenue depuis thérapeute et travaille avec des enfants en difficulté, se rend alors compte qu’elle a de moins en moins besoin d’argent. Deux ans plus tard, elle décide, presque par jeu, de vivre un an sans argent, « pour voir ».
Mais comment vivre sans argent ?
Elle donne toutes ses affaires, rend les clés de son appartement. Elle est hébergée chez les uns, chez les autres. Des amis lui demandent souvent de garder une maison le temps des vacances, de nourrir le chat, d’arroser les plantes. Elle voyage, toujours en train, les billets payés par ses hôtes. Parfois, elle se retrouve même sans nourriture ! Qu’à cela ne tienne, elle se débrouille, récupère les invendus d’un Bioland (équivalent allemand des BioCoop), fait les fins de marché, travaille un jour par semaine dans une banque alimentaire... Aujourd’hui, sa vie tient dans une toute petite valise. « Ma vie est devenue extraordinairement riche, intense, je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Quand tu es détachée du matériel, tu as du temps pour tout le reste ! » Finalement l’expérience se révèle tellement enthousiasmante qu’elle décide de la poursuivre. « C’est possible de vivre sans argent, et d’avoir une vie fantastique ! ».
« Ressentir » plutôt que « calculer »
« Dans mes échanges avec les autres, je ne calcule pas : ce que je coûte, ce que je rapporte, ça n’a aucun sens ! Par contre, je fais attention aux autres, à leur donner toujours plus que je ne reçois. C’est une question de sentiments, de ressenti. C’est là le grand changement : certaines choses ne peuvent pas être calculées. Par exemple, je fais beaucoup de conférences, ma vie intéresse les autres. Mais parfois moi j’aimerais juste pouvoir discuter avec eux. Pas encore et toujours parler de moi (rires) ! Mais c’est aussi comme ça que je les remercie. Je viens de finir mon troisième livre et on a aussi réalisé un film. Bien sûr, je ne sais pas de quoi demain sera fait. Peut-être que je serais malade, que quelque chose arrivera. Mais aujourd’hui j’ai confiance en la vie, je sais qu’on finira toujours par trouver une solution. Tout viendra lorsque j’en aurais besoin. » La vie sans argent, un bel exemple de résilience ?
Pour en savoir plus : http://livingwithoutmoney.org (Anglais, Italien ou Norvégien), http://www.heidemarieschwermer.com (en Allemand).
(1) Les Créatifs Culturels est un groupe socioculturel défini par ses valeurs (écologiques, importance des femmes, activisme social, authenticité, développement personnel, spiritualité…). Définis et identifiés en 2000 par Paul Ray et Sherry Anderson, ce groupe est un acteur majeur de changement. Paradoxalement, ce groupe est très représenté (avec 35% de la population aux Etats-Unis, en Europe, au Japon) alors que ses membres se croient généralement isolés (ils s’estiment à tort à seulement 1-5%). Pour les rejoindre.