Il y a 25 ans, sur MSX, Konami publiait un jeu qui allait initier une saga dont la renommée ne ferait que grandir avec le temps. Un nouveau héros sortait la tête de l’eau et s’infiltrait dans une base remplie d’ennemis, préférant la ruse à l’affrontement direct. Depuis, Snake est devenu l’icône de l’infiltration et surtout celle de Metal Gear. C’est aussi le premier jeu dirigé par un grand artiste du jeu vidéo : Hideo Kojima. De passage à Paris pour célébrer l’anniversaire de la série, le créateur japonais s’est confié à nous et s'est épanché sur lui et sa série pendant une Master Class de près de deux heures, accompagné du génial Yoji Shinkawa, directeur artistique de Kojima Productions depuis Metal Gear Solid.
La saga Metal Gear et son créateur sont indissociables, impossible de distinguer l’un de l’autre tant leurs histoires sont liées. Kojima y fera référence plusieurs fois, Metal Gear est sa création et il n’a trouvé personne pour prendre la relève. Il le fera sans doute un jour, mais tant que personne ne sera jugé à la hauteur, il continuera à diriger le navire. Les aspirants devront se contenter de spin-off en attendant que le maître reconnaisse son élève spirituel parmi tous les prétendants. Avant d’en arriver là, revenons à la visite parisienne de Kojima se déroulant dans un cinéma de la capitale. Pour préparer l'entrée en scène, un petit rappel s’imposait et ce sont des extraits de Metal Gear, Metal Gear 2, Metal Gear Solid, Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty, Metal Gear Solid 3 : Snake Eater, Metal Gear Solid 4 : Guns of Patriots et enfin Metal Gear Solid : Peace Walker qui se succèdent à l’écran, 25 ans résumés en quelques minutes mais qui font frémir chaque joueur tant la série est parsemée de scènes cultes. L’arrivée de Hideo Kojima est saluée par une standing ovation et l’homme, bien que discret, n’est pas surpris, sa renommée n’est plus à faire et il a déjà reçu de tels hommages partout dans le monde. Installé dans son fauteuil, il salue humblement le public et Julien Chièze (JulienC pour les intimes) qui s’occupe d’animer de belle façon cette Master Class.
La genèse de la licence est bien entendu le premier sujet abordé. Kojima explique comment un jeune créateur, ne pouvant pas obtenir un bon jeu d’action à cause de contraintes techniques, va décider que son héros doit éviter les ennemis plutôt que d’aller à l’affrontement. Il décrit un jeune homme qui a toujours été fasciné par le cinéma, passion qui prendra de plus en plus de place au fur et à mesure des épisodes. Il faut dire que dès l’enfance Kojima se passionnait pour les récits, écrivant des livres aux histoires parsemées d’énigmes et de mystères pour son propre plaisir, allant jusqu’à dessiner lui-même les couvertures de ses œuvres. Au collège, la vidéo devient une nouvelle façon de mettre en place sa créativité, il fait des films avec des amis et vend des tickets à ses camarades pour assister aux projections, sans grand succès malheureusement. Ayant l’impression d’être le seul à prendre cette occupation au sérieux, il se projette en Sylvester Stallone, auteur d’un scénario en or qui lui offrira la chance de devenir réalisateur. Dévorant les nombreux films du monde entier que possède sa famille Kojima rêve du grand écran, c’est un autre loisir qu’il va conquérir avec Metal Gear.
Né dans les années 60, Kojima garde un souvenir marqué de la menace nucléaire, de par sa naissance au Japon, seul pays ayant eu à subir ce genre d’attaque, et de par la guerre froide durant laquelle l’archipel se trouvait au milieu des deux blocs ennemis. Cette violence et cette peur de l’arme nucléaire, il va les exploiter en donnant à son jeu le nom d’un robot capable de lancer des armes nucléaires, le Metal Gear, lequel sera d’ailleurs le lien entre tous les épisodes de la saga. Cette obsession se retrouve à de nombreuses reprises dans la série, le Docteur Strangelove de MGS Peace Walker en étant une parfaite illustration. Profitant des nouvelles capacités offertes par chaque nouvelle génération de consoles, Kojima pousse de plus en plus loin chaque épisode, ne prévoyant pas sa saga comme un tout, mais envisageant chaque épisode comme étant le dernier et devant, à ce titre, offrir une expérience unique. Certes, cette vision donnera quelques incohérences scénaristiques mais il est très intéressant de voir chaque épisode comme unique et les choix qui ont été faits en conséquence. Le créateur va ainsi avouer que son idée lui ayant le plus compliqué la vie est d’avoir introduit le concept de clones dès Metal Gear Solid, l’obligeant à toujours prendre en compte ce fait. Il pensait que cet épisode bouclerait la série et voulait offrir à Snake un adversaire lui ressemblant car c’est ainsi que se terminent les films de héros « live » qu’il affectionne : chaque saison apporte un nouveau méchant qui ressemble beaucoup au héros, même si l’un est gentil et l’autre joue le méchant.
Transition parfaite, la référence aux films de héros « live » comme Kamen Rider (ou du genre Bioman chez nous) permet à Shinkawa de révéler que sa passion du dessin provient des petites esquisses que lui faisait sa mère lorsqu’il était enfant. Elle représentait un Kamen Rider à partir d’un caractère japonais et c’est ainsi qu’est née l’envie de l’artiste d’étudier le dessin. Le directeur artistique de Kojima Productions explique qu’à sa sortie d’une école d’art, il a décidé de se présenter chez Konami, plus gros éditeur du moment, tout simplement parce qu’il aimait les jeux vidéo ! Parfois les choix les plus simples sont les meilleurs. A peine recruté, il doit dessiner le Metal Gear Rex pour Metal Gear Solid. Après bien des péripéties et non sans avoir construit une maquette auparavant, il finira par y arriver, ayant suffisamment convaincu pour qu’on lui confie le design de Snake avec comme seule condition de ne pas oublier le bandeau sur les sourcils. C’est le début de sa collaboration avec Hideo Kojima qui lui permet encore aujourd’hui de dessiner ses sujets favoris que sont les femmes et les mechas aux courbes sexy. On apprend aussi qu’il existe une version féminine de Snake créée par l’artiste et que son nom de code est Sweet Snake. En nous présentant son bloc de travail qu’il traine partout, à chaque sortie aussi bien qu’aux toilettes, il évitera soigneusement un groupe de pages qu’il n’a pas le droit de montrer afin d’arriver à une page blanche. La démonstration qui suit est impressionnante et laisse la salle bouche bée, devant la facilité avec laquelle le papier se voit couvrir d’un Snake détaillé, le tout avec une plume à encre, un effaceur (pas pour corriger mais pour dessiner sur l’encre noire) et un crayon à papier. En quelques minutes le héros de Metal Gear prend vie et ravit les fans.
Alors que la fin approche, on n’apprendra rien sur le futur de la série, Kojima confirmant que pour l’instant il ne laissera à personne d’autre le soin de prendre en main son bébé. MGS Rising arrive et c’est tout ce qui est annoncé pour le moment en ce qui concerne la licence. Les rumeurs sont nombreuses autour du nouveau moteur graphique de Kojima Productions, le Fox Engine, mais là encore pas de révélations si ce n’est qu’il sera présenté en juillet contrairement au premier jeu devant tourner dessus, le fameux Projet Ogre. D’après le traducteur et l’animateur, qui ont bénéficié d’une présentation privée, le résultat est bluffant. Les questions réponses du public n’apporteront finalement pas de nouvelles informations si ce n’est que Kojima n’a pas abandonné son rêve de réaliser un film mais que cela arrivera uniquement lorsqu’il n’aura pas de jeu sur lequel travailler car il préfère se concentrer à fond sur chaque création. Le problème étant qu’une fois un jeu terminé, il veut immédiatement en refaire un, envie qu'il compare à celle ressentie par ceux qui gravissent le Mont Everest : peu importe la difficulté à atteindre le but ou les chutes, ce besoin de repartir à l'aventure se fait toujours ressentir. Hideo Kojima est donc loin d’être rassasié 25 ans après son premier jeu, ce ne sont pas les amateurs de jeux vidéo que nous sommes qui s’en plaindront. Metal Gear et son créateur ont encore de belles années devant eux, tant mieux pour nous.
Pour ceux qui voudraient vivre cette Master Class, elle est disponible en intégralité au bout de ce lien.