Rien ne va plus en France ! Un certain “Bloc identitaire” mobilise à Grenoble contre le “racisme anti-blanc” de Kerry James, un rappeur natif de la Guadeloupe que n’ont pas convaincu les propos de l’ex-président Nicolas Sarkozy sur la colonisation1. Ces militants qui cherchent à préserver nos « identités historiques et charnelles » semblent trouver leur inspiration au-delà des frontières, chez les Arabes en plus ! Au Maroc, où la justice est bien tenue, on vient de condamner un rappeur. Avec une belle constance car c’est la seconde fois que L7a9d (lire : al-Haqed الحاقد) subit un traitement que l’extrême droite française aimerait peut-être faire appliquer en France. Arrêté le 29 mars dernier, le jeune rappeur proche du mouvement du 20 février se voyait reprocher cette fois une vidéo mise en ligne sur YouTube (elle n’est plus disponible). Pour illustrer les paroles d’une de ses chansons, Les chiens de l’État (كلاب الدولة), on voyait une séquence où des policiers à tête d’âne maltraitaient un citoyen.
Suite à une plainte déposée par la Direction générale de la sûreté nationale, le tribunal a prononcé une peine d’un an de prison (ferme) et 90 euros d’amende pour « outrage à un officier public dans le cadre de ses fonctions et à un corps constitué ». « Un an ferme », cela paraît être le tarif en vigueur auprès des tribunaux du pays. Rachid Niny, ex-rédacteur en chef du quotidien Al-Massae (المساء : arabophone, la plus grande diffusion dans le pays), vient en effet d’être libéré il y a quelques semaines, après une année derrière les barreaux pour « atteinte à la sécurité du pays et des citoyens ». Était en cause cette fois une série d’éditoriaux (sous le titre « Voyons voir ! » شوف تشوف), qui s’intéressaient trop à la question de la corruption. Fidèle au principe de l’indépendance de la justice, le roi a préféré ne pas user de son droit de grâce en février dernier, afin que le condamné « fasse son temps », comme l’avait prévu la loi.
De telles condamnations doivent faire rêver les « identitaires » sur les rives de l’Isère… Hélas, même au Royaume enchanté du Maroc les choses évoluent, à cause de cette Constitution que le souverain marocain a proposé en référendum en juillet dernier, et qui prévoit expressément (article 92) une stricte séparation des pouvoirs. Ces jours derniers, quelque 1 800 juges, réunis au sein du Club des magistrats du Maroc (نادي قضاة المغرب ), une création du « printemps marocain » là encore, ont signé une pétition pour que soit acté le nouveau statut constitutionnel de la justice.
Ce n’est pas le nouveau ministre en charge de la loi marocaine qui les contredira. En dépit d’une promesse du parti Justice et développement (PJD, un parti dit « islamiste ») dont il est proche, il avait fait savoir avant le jugement du rappeur L7a9d qu’il n’interviendrait pas, au nom du sacro-saint principe de l’indépendance de la justice. On attend avec intérêt les positions du PJD sur les transformations constitutionnelles à venir…
La vidéo incriminée n’est donc plus en ligne, mais on peut encore écouter le titre ici. On y trouve les paroles en arabe marocain et je me joins à Ted Swedenburg pour réclamer une traduction (français, anglais ou espagnol, au choix!). L7a9ed (vous vous habituerez à cette écriture, couramment pratiquée par un hebdo comme TelQuel au Maroc par exemple) possède son site (en tout cas, il est à son nom, l’illustration vient de là).
- “La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant œuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. On peut condamner le principe du système colonial et avoir l’honnêteté de reconnaître cela.”
Nicolas Sarkozy, 9 mars 2007, meeting de Caen.