François Bayrou tente de rebondir dans la campagne des élections législatives qui va être très difficile pour le
centre. Pourtant, il apporte quelques arguments à ceux qui ne veulent pas tout donner au PS sans pour autant donner quitus à l’UMP de la législature sortante.
Le 3 mai 2012 en début de soirée, l’ancien candidat centriste a annoncé sa décision de voter à titre personnel pour François Hollande au second tour de l’élection présidentielle (texte complet ici). Il a fait cette annonce très tardivement,
après un silence quasi-ininterrompu d’une dizaine de jours (il a juste publié un communiqué à l’AFP le 25 avril 2012) et en pleine actualité (suite médiatique du débat du second tour), ce qui l’a rendu assez inaudible malgré cette décision historique.
Ne plus être un homme de droite…
J’ai trouvé cette décision regrettable car elle s’est faite à mon sens à contretemps politique. Certes, elle avait un double avantage : d’une
part, faire preuve de sincérité, puisque son raisonnement reposait plus sur les valeurs que sur une stratégie politique quelconque (toutefois, je pense qu’il s’est trompé sur ce sujet, j’y
reviens plus loin), d’autre part, c’est sans doute un élément déterminant, montrer (enfin) qu’il n’est pas un homme de droite.
Ce dernier point lui a sans aucun doute apporté une crédibilité qu’il n’avait pas encore acquise malgré quasiment dix années d’isolement politique à
droite (et aussi à gauche). Par son origine de centre droit, et les valeurs qu’il défend (toujours) sur l’efficacité économique, François Bayrou n’a jamais pu être catalogué comme homme de gauche, d’autant plus que son passé ministériel
s’était déroulé au sein de gouvernements de droite et de centre droit.
En revanche, il lui manquait le fait qu’il ne puisse plus être catalogué comme homme de droite, et des personnalités comme Jean-Luc Mélenchon n’ont pas hésité à insister lourdement sur cette (fausse) étiquette (d’ailleurs, quelques ténors de l’UMP aussi durant cette campagne présidentielle de 2012
ont insisté pareillement).
Prendre ses responsabilités
En votant personnellement pour un candidat de gauche au second tour de l’élection présidentielle, le scrutin le plus important (et décisif) pour les
cinq années qui viennent, François Bayrou a donc clairement démontré qu’il n’était plus ou pas un homme de droite (sans pour autant devenir un homme de gauche, il suffit d’écouter tous les
responsables de gauche à l’exception d’un, j’y reviens aussi plus loin).
Mais en votant pour François Hollande qui a été élu, il devra, dans tous les cas, assumer son vote : il a, lui autant que les dix-huit millions
d’autres électeurs, contribué à son élection, et par conséquent, à l’exécution de son programme présidentiel.
Or, il aurait été bien plus efficace et prudent d’avoir atteint cette étape dès 2007 et pas en 2012.
Pour une double raison. La première, un peu hypocrite, certes, mais quelle posture n’est pas du tout politique ? Il y avait moins de risque à
voter pour un candidat (ici une candidate, Ségolène Royal) qui ne serait pas élue (comme les sondages le
pronostiquaient). En effet, il n’y aurait pas à assumer l’exécution de son programme.
La seconde raison, c’est que c’était aussi le meilleur moyen de se situer clairement dans l’opposition à Nicolas Sarkozy. Et c’était bien plus facile avec Ségolène Royal qu’avec François Hollande, puisque l’ancienne candidate socialiste avait clairement accepté le principe d’une
alliance PS-UDF, de centre gauche (certes, sans beaucoup de crédibilité car sans capacité de convaincre son propre camp), rompant avec quarante années d’habitude d’union de la gauche entre
socialistes et communistes. François Hollande, au contraire, est resté prudemment dans un registre d’union de la
gauche (de type 1981) ou de gauche plurielle (de type 1997) avec une coalition composée de socialistes, de communistes et d’écologistes. Les centristes n’ont pas, a priori (mais rien n’est
encore certain), leur place dans cette majorité (voir cependant plus loin).
De toute façon, s’il avait voté pour Ségolène Royal en 2007, François Bayrou n’aurait pas pu avoir pire, en 2007 que ce qu’il s’est passé
finalement : l’isolement politique par ses propres amis députés le quittant pour créer le Nouveau
centre et se faire réélire dans une alliance (classique, elle aussi) avec l’UMP. C’est d’ailleurs ce que des sympathisants de gauche lui ont reproché, d’avoir contribué, par son silence, à
faire élire Nicolas Sarkozy.
Positionnement au centre droit ?
Cette fenêtre d’opportunité en 2007 s’est d’ailleurs vite refermée après le congrès de Reims et l’impopularité de Ségolène Royal (devenue machine à perdre du PS) : que ce fussent Dominique Strauss-Kahn ou François Hollande, le centre gauche allait être complètement
préempté par le PS et François Bayrou se repositionnait mécaniquement (et malgré lui) au centre droit à un moment où l’UMP s’est très droitisée. Il me paraissait alors logique que pendant la
campagne, François Bayrou indiquât son opposition d’abord au favori, à savoir au candidat socialiste dans les propositions qui apporteraient un grand risque budgétaire pour la France. L’absence
de candidat du centre droit après les renoncements de Jean-Louis Borloo et Hervé Morin aurait pu ouvrir un boulevard à François Bayrou s’il s’était mieux positionné durant la campagne présidentielle (avant mi février 2012).
Cela dit, il est inutile de faire de l’uchronie. Le passé reste ce qu’il est et parlons d’avenir.
Ce n’est pas un ralliement !
D’abord, il est assez stupide d’avoir parlé d’un ralliement de François Bayrou à François Hollande comme il serait aussi stupide de parler de
ralliement à l’autre candidat du second tour. À partir du moment où la règle du jeu a imposé, comme prévu, une bipolarité au second tour, et que le vote blanc, bien que respectable, est à mon avis un acte vain laissant à d’autres le soin de choisir la personnalité qui aura en charge le
destin de la France pendant cinq ans, il a bien fallu choisir entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Il ne s’agit donc pas de ralliement mais de choix, de choix responsable, disons, de choix
du moins pire.
C’était déjà mon problème en 2007 (choix que j’ai assumé, là aussi) mais aussi en 1988 où j’avais
fait la campagne pour Raymond Barre et j’avais été doublement écœuré tant par les méthodes arrogantes de
Jacques Chirac que par le machiavélisme subtil de François Mitterrand qui avait opportunément agité le (déjà) droit de vote des étrangers pour favoriser la candidature de Jean-Marie Le Pen (14,4%).
En ce qui me concerne, le choix du second tour a été un pis-aller car ni mes valeurs ni mes idées
politiques n’étaient représentées par aucun des deux candidats finalistes.
Par conséquent, la décision de choisir l’un ou l’autre ne m’a pas paru scandaleux. Pourtant, il peut y avoir de grandes différences de motivations.
Par exemple, que dire d’un Jean-Luc Bennahmias qui, dès le soir du premier tour, a fait ses offres de service au camp Hollande et qui répète à l’envi sa disponibilité pour devenir
ministre ?
Les électeurs de François Bayrou, comme les autres, sont tous des adultes et sont assez grands pour savoir choisir sans consigne de vote.
Je peux comprendre que certains aient choisi François Hollande pour en finir avec la droitisation de l’UMP (dont les résultats sont contreproductifs,
comme l’a rappelé Koztoujours le 11 mai 2012). J’ai fait un choix différent car j’ai considéré que d’une part, le camp Hollande
n’était pas plus "humaniste" sur l’immigration que le camp Sarkozy, et d’autre part, que la politique de
réduction des déficits publics était nettement plus crédible chez Nicolas Sarkozy que chez François Hollande. De plus, sur les valeurs, il était hors de question pour moi d’approuver deux
propositions de François Hollande qui vont à l’encontre de mes convictions les plus profondes : l’euthanasie active et l’expérimentation sur les cellules souches des embryons humains.
Quel avenir pour François Bayrou ?
La décision personnelle de François Bayrou ne peut être comprise que sincère puisque d’un point de vue purement politicien, il se retrouve maintenant
dans une position fort délicate, non pas dans sa circonscription (il a déjà été confronté à l’UMP et au PS à la fois en 2007) mais sur l’échiquier politique.
Sa seule chance de reconstruire une force centriste n’aurait
dû passer que par le centre droit, étant donné que le centre gauche est inclus directement dans le PS (via Manuel Valls et Vincent Peillon, par exemple), ou indirectement dans un parti satellite qui doit tout au PS, le PRG de Jean-Michel Baylet.
Il est clair aussi qu’il n’est plus possible de faire renaître une vieille UDF dans la mesure où, en dix ans, son concept ne correspond plus à une vision moderne des forces politiques en présence (sans compter que pour une proportion de plus en plus
grande de l’électorat, l’UDF ne signifie plus rien et n’est devenue qu’une réalité simplement historique).
Des centristes, il y en a pourtant un peu partout : 1° au Nouveau centre divisé entre les proches
d’Hervé Morin et les proches des ministres sortant Maurice Leroy et François Sauvadet ; 2° au Parti radical valoisien avec Jean-Louis Borloo et Rama Yade ; 3° au sein même de l’UMP, avec Pierre Méhaignerie et Jean-Pierre Raffarin (allié en interne à Jean-François Copé), qui revendiquent plus d’une
centaine de députés sortants.
La stratégie de refus d’alliance dans un scrutin dont la nature majoritaire nécessite des accords électoraux
avec l’un des deux puissants partis pourrait conduire à une catastrophe électorale comme en juin 2007. Irait-on vers un "centre" ne faisant élire qu’un ou deux députés malgré ses 9,3% de
potentiel alors que les écologistes pourraient compter sur une vingtaine de sièges EELV avec leurs
seulement 2,2% de potentiel électoral ?
Je le répète, il ne s’agit pas de la situation personnelle de François Bayrou (il se sauvera probablement
lui-même) mais de celle d’un groupe centriste réellement autonome. Plus rien, d’ailleurs, n’expliquerait que le centre droit actuel puisse rester vassalisé à l’UMP alors que la droite serait dans
l’opposition.
Des voix à gauche ?
Celui qu’on donne comme futur Ministre de l’Éducation nationale et qui avait déjà réuni Marielle de Sarnez et
Robert Hue en fin août 2009 dans une même convention, Vincent Peillon, est sans doute le plus lucide dans ce souci de ne pas rejeter « une nouveauté
politique considérable ».
Le 13 mai 2012 sur Radio J, il a en effet déclaré : « Ne
ratons pas cette nouveauté politique française qui est la possibilité de faire un rassemblement des progressistes en France qui aille au-delà du Parti socialiste et qui inclue les démocrates de
François Bayrou ! » en insistant : « Pour la première fois, le centre français, qui a toujours été un centre droit, a appelé, par
la personne de François Bayrou, à voter pour le candidat de gauche. Il faut être en capacité d’accueillir la nouveauté et peut-être même la favoriser. Cette nouveauté peut être utile à la France
et tous ceux qui freinent des quatre fers ont tort de le faire. ».
Comme on le voit avec cette déclaration, ainsi qu’avec le souhait de Pierre Moscovici, appelé à de grandes responsabilités dans quelques heures, de ne pas mettre de candidat contre
François Bayrou dans sa circonscription, la ligne Hollande est encore loin d’être claire entre les tenants d’une orthodoxie d’union de la gauche (dont Martine Aubry fait la promotion malgré ses propres alliances PS-MoDem dans sa municipalité à Lille, comprenne qui
pourra) et celle, plus moderne, d’une alliance de centre gauche qui rangerait le Front de gauche dans le rayonnage des aspérités historiques.
Réformer l’UMP ?
Avec la composition du nouveau gouvernement prévue le 16 mai 2012, on saura assez rapidement si le nouveau
Président a choisi de se rapprocher du centre gauche ou de la gauche radicale, de François Bayrou ou de Jean-Luc Mélenchon (je note au passage que Ségolène Royal a complètement oublié son idée en 2007 de nommer François Bayrou Premier Ministre en flattant ce 13 mai 2012 le combat électoral de…
Jean-Luc Mélenchon !).
Pour l’instant, il semblerait probable que François Hollande veuille s’appuyer sur un gouvernement
intérimaire acquis aux concepts assez archaïques de l’union de la gauche (avec ou sans participation du PCF),
une coalition d’un autre âge qui ne serait pas en mesure de relever les défis immédiats (sur la crise de
l’euro entre autres).
Cela aurait pu conduire les proches de François Bayrou à une autre stratégie, plus réaliste sur le plan
institutionnel ; cela aurait été de conquérir le leadership de l’UMP, seul contre-pouvoir efficace contre le PS. C’est désormais impossible avec le vote personnel de François Bayrou. En ce
sens, l’issue de la rivalité entre Jean-François Copé et François Fillon au sein de l’UMP va probablement
figer le paysage politique pendant une bonne dizaine d’années…
Le Centre pour la France
Dans sa conférence de presse du 10 mai 2012 (texte complet
ici), François Bayrou a proposé l’investiture d’environ quatre cents candidats aux élections législatives sous l’étiquette "Le Centre pour la France".
Le projet de François Bayrou est ambitieux. Ne pas laisser les plein pouvoirs au PS qui contrôle déjà
l’Élysée, le gouvernement, le Sénat, les régions, les départements et la plupart des grandes villes, mais
ne pas non plus reconduire une majorité UMP qui s’est discréditée par son flirt avec les idées d’extrême
droite.
Pour le leader centriste, les élections législatives des 10 et 17 juin 2012 sont donc décisives :
« Pour la première fois, un vrai centre peut exister. Jusqu’à maintenant, le centre ne se concevait qu’à droite. Jamais, depuis des années, il
n’avait pu faire la preuve d’une vraie indépendance, d’une vraie liberté de décision, fondée non pas sur des arrière-pensées, mais sur le plus profond de son engagement. (…) J’ai beaucoup d’amis
qui ont voté Sarkozy et appelé à voter pour lui. Je considère qu’ils en avaient le droit. J’ai des amis qui ont voté blanc. Je considère qu’ils en avaient le droit. Beaucoup d’entre nous aussi
ont voté Hollande et moi avec eux. (…) C’est en acceptant cette diversité, en réunissant ceux qui ont fait des choix de deuxième tour différents, et heureusement, que nous créerons le pôle
central dont la France a besoin. C’est un grand changement. ».
C’est surtout, pour lui, un moyen de refuser le bipartisme : « Au travers des candidats de cette force centrale, pourront s’exprimer tous ceux qui éprouvent un malaise devant la volonté de monopole de l’UMP et du PS. Et
je les ai rencontrés, les gaullistes, les sociaux démocrates, les sensibilités sociales de la droite républicaine, les écologistes réalistes. Tous ceux qui n’aiment pas que triomphent les seules
logiques d’appareil. Tous ceux qui en ont marre des sectaires d’un bord ou de l’autre. ».
La France et son compromis historique
François Bayrou aurait historiquement raison s’il parvenait à faire pencher la balance de son côté, soit dans
la tête dus dirigeants socialistes (on le saura très vite), soit dans celle des électeurs qui, par souci d’équilibre, préféreraient ne donner au PS qu’une majorité relative à l’Assemblée
Nationale avec un groupe central indépendant capable de peser, par son opposition constructive et exigeante, dans les décisions essentielles, comme sur la réduction de la dette, la
réindustrialisation de la France, la réforme de l’éducation et la moralisation de la vie politique.
C’est cela, l’idée de ce "Centre pour la France", en quelques sortes, une autre version de la chance pour la France chère à Bernard Stasi.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (14 mai
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’élection de François Hollande.
Que faire au 2nd tour de l’élection présidentielle de
2012 ?
Que faire au 2nd tour de l’élection
présidentielle de 2007 ?
Pas de différence sur les valeurs.
Bayrou s'invite à Reims.
Bayrou votera-t-il Hollande ?
Une chance pour la France ?
Manichéisme archaïque.
Le vote Bayrou.
Et maintenant ?
Un homme sincère.
La famille centriste.
Conférence de presse de François Bayrou du 3 mai 2012 (texte
complet).
Conférence de presse de François Bayrou du
10 mai 2012 (texte complet).
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-centre-pour-bayrou-116797