Talons aiguille, talons compensés, talons "baraquette", talons bobine, talons quille... Si nous comprenons bien l'esthétisme de porter des talons hauts et le caractère féminin qu'il apporte à une tenue, cet accessoire quotidien n'a pas toujours été l'apanage des femmes !
Mais pourquoi vouloir ainsi défier les lois de l'équilibre? Signe de hiérarchie sociale, instrument usuel pour une profession spécifique... L'usage des talons et leur hauteur évoluent avec l'histoire. Mais quelle histoire ?
Les plus anciens talons hauts recensés remontent à l'Egypte ancienne : les bouchers en portaient pour éviter de se salir les pieds avec le sang... Nous sommes ici loin du glamour rattaché aux escarpins ! Puis le port des talons se développe surtout à Venise à partir du XVIe siècle avec les fameuses chopines, ancêtres de nos chaussures compensées qui inspirent encore aujourd'hui certains créateurs comme Guo Pei en 2010. Certaines chopines pouvaient s'élevaient jusqu'à 60 cm du sol ! De quoi réévaluer la prétendue hauteur de nos souliers d'aujourd'hui.
Heureusement pour notre confort, les bottiers abaissent peu à peu le devant des chopines, creusent le milieu de la plate-forme pour obtenir deux talons de part et d'autres de la chaussure, puis enfin un unique talon à l'arrière ; créant ainsi le talon haut que nous connaissons aujourd'hui.
Petite, la reine Catherine de Médicis importe d'Italie ses talons hauts pour son mariage et lance la tendance à la cour de France dès 1533.
L'âge d'or des talons unisexes est sans doute le XVIIe siècle où tous les nobles s’avancent en vacillant sur des talons d’au moins 12 cm, en signe de distinction sociale. Même les hommes en portent malgré l’inconfort. Il faut surtout avouer qu'à l'époque, il n'existait pas de différence entre le soulier droit et le soulier gauche, contraignant le marcheur à se dandiner de manière un peu maladroite... Et pour éviter de tomber, on n'hésite pas à se servir d'une canne. Suivre la mode joue parfois des tours !
A la Révolution, les têtes tombent, les talons aussi. La hauteur des souliers est nivellée vers le bas pour un respect de l'égalité de tous les citoyens. La botte martiale à talon plat est adoptée par les hommes tandis que les femmes chaussent des bottines.
Au XIXe siècle, les talons hauts réapparaissent aux pieds des femmes mais dites de petite vertu. Ils acquièrent leur dimension érotique et sexuelle, devenant les "souliers diaboliques" des filles des maisons closes à Paris d'abord d'où leur nom de "chaussures françaises", puis en Angleterre et aux Etats-Unis. Les gérants des établissements, conscients du pouvoir attractif et économique des talons hauts, se fournissent en masse auprès de manufactures spécialisées fraîchement créées pour chausser rapidement toutes leurs employées.
Enfin, les talons hauts se démocratisent à nouveau au XXe siècle, plus précisément en 1952, avec l'apparition du talon aiguille, notamment en France avec les créations de Roger Vivier. Ils reprennent l'architecture des gratte-ciel : une armature en métal, très fine, supporte tout le poids du corps.
Mais ces souliers sont encore sujet à polémique. Ils sont longtemps interdits dans les avions car ils trouent apparemment le plancher et les réceptions de certains établissements publics imposent leur retrait, stipulant la tenue incorrecte.
Avec les progrès technologiques et l'invention de nouvelles matières, les créateurs cherchent encore à défier les lois de l'équilibre, en inventant de multiples types de talons hauts : des talons virgule, bobine, pyramide, "mille patte" par Gaultier... Vivienne Westwood tirera à son paroxysme la hauteur vertigineuse des talons au point d'engendrer une chute de Naomi Campbell lors d'un défilé en 1993. Quoique ce n'était pas non plus des chopines très hautes en fin de compte !
Ces dernières saisons, les talons hauts reviennent en force dans les défilés et les vitrines. Alors attention aux chutes fashionistas !