La rencontre
Elle m’avait donné rendez-vous dans un café que nous fréquentions plusieurs fois par semaines à l’époque. Lorsqu’elle m’avait appelée pour me proposer de nous retrouver là-bas, j’avais bien senti qu’il se passait quelque chose…Surtout qu’elle n’avait pas pour habitude de m’appeler une semaine à l’avance pour me proposer de boire un verre… Elle disait que ça allait à l’encontre du fameux carpe diem qui gouvernait sa vie. J’avais eu beau la questionner, elle m’avait dit, d’une façon assez sèche et brutale, qu’elle m’expliquerait une fois que nous serions au café. Je ne m’étais pas formalisée. Cette année là, je ne voyais pas grand monde à part ma petite bande de copains, une sortie était toujours bonne à prendre.
J’avais donc retrouvé Danaé le samedi suivant, assise à notre table. Dès que j’ai croisé son regard, j’ai eu la certitude qu’elle paniquait. Ce n’était pas son genre. Je l’admirais car elle domptait l’angoisse dès qu’elle la pressentait tandis que je sombrais, sans résistance aucune, dans la mélancolie et les tourments. Elle a été mon modèle pendant des années.
Une fois installée en face d’elle, elle me dit dans un souffle : “Je vais rencontrer ma mère ici. Elle doit me raconter mon histoire puis repartir. Je ne pouvais pas la voir seule. J’ai peur.” C’était la première fois que je la voyais ainsi. Je lui demandais pourquoi elle m’avait choisie, moi, qu’elle ne connaissais que depuis peu. Sa réponse fut brève : “Tu es la seule à n’avoir jamais posé de questions ni fait de remarques en voyant que ma famille n’avait pas la même couleur de peau que moi. Les autres n’ont jamais pu s’en empêcher. Comme s’ils voulaient avoir la certitude que oui, j’étais bien une enfant adoptée.”
Deux bonnes heures s’écoulèrent sans que personne ne se dirigeât vers nous. Pourtant nous sursautions et nous nous retournions au moindre bruit.
Mon amie ne cessait de soupirer et de regarder la pendule. Le carillon de la porte d’entrée tinta. C’était elle. Danaé attrapa ma main et la serra dans la sienne. La personne qu’elle haïssait et dont elle avait tant désiré la présence se tenait devant elle, droite mais tremblante.
Texte écrit dans le cadre de l’atelier Une photo, quelques mots, à l’initiative de Leiloona. Photo de Kot.