Juillet 2006 : premiers pas sur le sol nippon. Je n'aurais jamais cru, sept ans et huit séjours plus tard, que cette passion naissante serait toujours aussi intacte aujourd'hui !
Premier voyage donc où, sans présumer de la suite, j'organisais l'itinéraire suivant :
Tokyo
Nikko
Miyajima
Himeji
Kyoto
Tokyo
Douze jours, Japan Rail Pass et Lonely Planet en poche, pour visiter l'archipel ; douze jours c'est très court, il faut faire des choix, essayer de ne pas passer à côté de l'essentiel (du moins de ce que l'on considère comme essentiel) car rien n'indique qu'on y reviendra.
Premier contact avec Tokyo : le quartier d'Asakusa où je logeais, au ryokan Shigetsu (lien vers le site du ryokan). Chambres "à la japonaise", tatamis, futon, shoji et bain commun avec vue sur la Saksa, la pagode du Senso-ji. Total dépaysement quand on sait que finalement, quel que soit l'endroit du monde où on se trouve, toutes les chambres à l'occidentales finissent par se ressembler.
A Asakusa, ce week-end de juillet 2006 c'était l'Hozuki-ichi festival (festival et marché aux physalis). Certes, je savais que le quartier d'Asakusa se trouvait à "Shitamachi", la ville basse dans l'ancien Tokyo (quartier très populaire), mais je n'imaginais pas me retrouver, à peine descendue de l'avion, dans une ambiance si désuette : couples en yukata, jeux de fête foraine à l'ancienne, innombrables échoppes ambulantes (yataï) dans l'enceinte du temple, comme dans les matsuri que je découvrirais plus tard ...
"Vous comptez vous rendre au Japon ?"
Derrière ses lunettes rondes à monture d'écaille, le petit homme rondouillard, boudiné dans un costume trop serré, me regardait d'un air dubitatif. Je venais de pousser la porte du bureau du tourisme japonais, le JTB, sur les Champs-Elysées, à quelques dizaines de mètres de la JAL.
Plus tôt dans la matinée, j'étais allé voir le directeur pour la France de la compagnie aérienne japonaise, un ami de mon père qui avait accepté de me rencontrer pour me parler de son pays natal. Dès qu'on passait le seuil de l'agence, on avait l'impression d'entrer de plain-pied au Japon. Des parois de papier quadrillées de bois encadraient le comptoir où les clients s'asseyaient pour acheter leur billet.
Une jeune femme était assise derrière le bureau. Elle portait un kimono. C'était le première fois que je voyais une Japonaise en chair et en os. Je la trouvais ravissante avec ses cheveux très noirs relevés en chignon sur une nuque délicate. Sa peau était claire, presque translucide. Ses yeux me fascinèrent : deux amandes parfaites. Dans la vitrine, à côté de la maquette du tout nouveau Boeing 747 à l'empennage flanqué d'une grue stylisée prenant son envol et aux ailes empastillées d'un rond de ce rouge orangé qu'on retrouve sur le drapeau japonais, était posée une pagode à cinq niveaux en bois doré avec un toit en vraies tuiles vernissées miniatures. A peine audible, une musique mélodieuse enveloppait l'athmosphère d'un charme indéfinissable. L'ami de mon père me dit que c'était du koto, "une sorte de harpe dont onjoue à plat, agenouillé sur une natte de paille qu'on appelle un tatami."
"Viens voir !" ajouta-t-il en m'entraînant vers une des parois de papier qu'il fit coulisser, me faisant entrer dans une petite pièce à tatamis.
Cela sentait un peu la poussière de foin sec, l'odeur n'était pas désagréable. Il reprit :
"Nous recevons ici les clients japonais importants qui ont besoin d'assistance. Ils sont souvent un peu désorientés dans cette ville toute de pierre. Ils retrouvent instantanément leurs marques quand ils s'accroupissent sur la natte ! Les couleurs neutres, les proportions toujours indentiques, les matérieuax souples, le relâchement qui s'opère lorsqu'on s'assoit par terre ... Ici, ils se sentent en sécurité."
Il me donna quelques conseils et une pile de dépliants sur Tokyo, Kyoto et d'autres hauts lieux du tourisme et me recommanda d'aller voir ses voisins du JTB. Quand je repassai devant elle, l'hôtesse était en conversation avec un client japonais. C'était doux et chantant, pas comme cette crécelle du vietnamien que nous entendions dans le petit restaurant de quartier où nous allions souvent. Elle me salua sans arrêter de parler à son interlocuteur d'une brève inclination de la tête que je trouvai poétique et gracieuse.
Le Japonais du JTB était beaucoup moins séduisant. Ses cheveux étaient plantés droit sur son crâne, telles des épines de porc épic, sa peau était grisâtre et terne, son sourire figé, qui lui donnait un air niais, laissait voir des dent plantées au hasard. Ses yeux clignaient à toute vitesse derrière les hublots épais de ses lunettes quand il répéta :
"Vous voulez vraiement aller au Japon ?"
En insistant sur le vraiment, il écorcha le r en une sorte de l mouillé. Si son français était impécable, il n'en maîtrisait pas la prononciation.
Visiblement, je ne correspondait pas au profil de ces hommes d'affaires en cravatte que j'avais brièvement entr'aperçus au comptoir de la JAL.
"Savez-vous que c'est très loin et très cher ?" enchaina-t-il sur un ton où je crus discerner du mépris.
Je lui répondis avec la même morgue :
"N'exagérons rien ! Dix-sept heures de vol avec une escale, ce n'est tout de même pas le Brésil, où j'avais initialement prévu de me rendre !"
Il parut un instant désarçonné puis reprit :
"Mais qu'allez-vous y faire ?"
"Monsieur, je veux connaître votre culture ! Je souhaiterais m'y plonger totalement, et je vous prie de m'indiquer l'organisme de votre pays qui pourra me permettre d'effectuer un séjour en homestay."
J'avais quelques années plus tôt expérimenté ce système qui permettait aux étudiants une immersion dans une famille d'accueil.
Mon interlocuteur semblait continuer à me mépriser. Mon agressivité ne le prit pas au dépourvu : les Français, il connaissait.
"Les Japonais, jeune homme, n'ont pas l'habitude des étrangers !"
Extrait de LA TRACE de Richard COLLASSE (1972, Paris)
Les personnes qui me suivent depuis 2006 sur mon premier blog "Asiemutée" (laissé à l'abandon, mais j'y parle encore un peu de mes autres voyages, de l'Inde notamment) reconnaîtront sans doute ces photos.
Certes, je ne manque pas de "nouveautés", mais j'ai décidé de remonter un peu aux sources de ma passion nippone (magie du net ...), avec un peu de nostalgie sans doute, mais aussi pour donner des idées d'itinéraires, de bonnes adresses, de m'en tenir à l'aspect plus touristique de mes voyages. Je sais, pour être souvent contactée par mail à ce sujet, que le côté pratique intéresse bon nombre de visiteurs de ce blog.
Photos à Tokyo, Asakusa, juillet 2006