L'Opéra est un grand bâtiment construit par l'architecte Kunz Nierade entre 1956 et 1960, exemple de classicisme socialiste, la plus ambitieuse construction théâtrale de l'Allemagne de l'Est: vastes salles, vastes foyers, escaliers monumentaux, or, lumières, bois, une vraie belle salle à vision frontale d'environ 1800 places, une large scène de 16m d'ouverture, une grande fosse pour l'orchestre du Gewandhaus qui officie à l'opéra. Un magnifique théâtre pour un lieu d'histoire musicale très riche !
Mais ce soir, quelle tristesse, 300 personnes au plus, une salle clairsemée pour cette quatrième représentation de la nouvelle production de "Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny" qui devait être dirigée par le GMD Ulf Schirmer, mais qui est remplacé par son assistant William Lacey. Il est vrai que ce soir la concurrence du football est rude (finale de la coupe), mais il est vrai aussi que l'Opéra de Leipzig est en graves difficultés financières, alors que c'est l'un des fleurons de la culture musicale germanique, aussi bien par les compositeurs qui y ont été chez eux depuis sa création en 1693 que par des chefs comme Arthur Nikisch ou Gustav Mahler y furent attachés. C'est donc une grande maison qui emploie 700 personnes et qui vaut d'être défendue, et vantée.
L'histoire est celle d'une ville, née à l'initiative de trois malfrats, qui vont en faire une ville de plaisir pour les chercheurs d'or qui viennent y dépenser leur argent: prostitution, corruption, meurtres, tout y est permis: Brecht et Weill en font une sorte de métaphore du capitalisme. Œuvre interdite évidemment sous le nazisme.
Dans cette ville, rien n'est défendu et le motto en est "Du darfst", (tu peux tout te permettre), motto inventé par un personnage bien léger qui brûle son argent,
La mise en scène de Kerstin Polenske, metteur en scène et chorégraphe, qui compose une mise en scène épurée, avec de beaux mouvements, notamment du chœur et des ensembles, qui se distribue autour de deux structures métalliques, un escalier au fond et un pont au milieu, quelques vidéos, quelques meubles, des couleurs vives et criardes (rouge, jaune/vert fluo): au départ on craint la monotonie, et en fait on ne voit pas le temps passer, c'est très fluide, très clair, très bien construit et joué.
On l'a dit l'orchestre est très bien mené, le son est très rond, le rythme très bien scandé, comme une vraie revue berlinoise, et la troupe de chanteurs de très bon niveau, à commencer par l'extraordinaire Mahoney de Stefan Vinke, qu'on a vu dans de nombreux rôles wagnériens, qui impose sa voix forte, ductile, et son jeu dynamique: il est très émouvant; la Jenny de la jeune canadienne d'origine grecque Soula Paradissis est une vraie trouvaille, voix pleine, forte chaude, bien posée, jeu dynamique, elle remporte un immense succès. Karin Lovelius est Leocadia, un rôle souvent confié à des gloires en fin de carrière (Gwyneth Jones le fut à Salzbourg), et elle campe le personnage avec force. Même si on est toujours un peu dubitatif quant à la place dramaturgique de cette femme tiroir-caisse. Tous les autres membres de la troupe sont sans reproche. Une soirée de grand intérêt, qui montre le niveau des représentations dans cette maison, et qui fait regretter l'assistance clairsemée.