Il est quelle heure je suis heureuse il y a un arbre
La guerre le nucléaire heureuse il y a un arbre
Ce mille milliardième oiseau éteint un arbre
Une promesse de forêt d’oubli de je m’en vais
Quelle heure du soir comme du matin
Un arbre dressé franc qui remplit mes deux yeux
La page le paysage la fenêtre aussi bien
Un humain par seconde meurt il y a un arbre
Où la fille à l’escarpolette en l’air s’envoie
La joie en quels temps pays de vivre quoi
Il y a un arbre n’empêche pile juste ici
Levant couchant il tient en embranchement
La lune et le soleil le soleil et la lune
Un arbre un arbre voyageur impeccable.
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Non je ne reviens pas vers vous je viens c’est tout
Je ne vous dirai rien autour d’un verre à pied
Ne suis pas très causante encore moins conviviale
Quand vos paroles sont tellement toujours les mêmes
Interchangeables et creuses formules des tics en toc
Vive les chiens éperdus les chats égratignés
Les âmes errantes les fantômes distingués
Le sourire à l’envers de la lune dans ma tasse
J’ai l’amour spontané de mon prochain sauf quand
Mon prochain s’intéresse de trop près à mon goût
À ma personne gentille et froide et solitaire
Alors là je m’éloigne à grandes enjambées
Du buffet dînatoire où j’étais conviviée
Et je rentre chez moi savourer mon congé.
Valérie Rouzeau, Vrouz, Editions La Table Ronde, 2012, p.32 et 156.
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Mon père mon père en terre au vent d’été au vent d’hiver.
Oh mon père terra terraqué je te répète perroquet mon père mon père.
Au vent d’hiver au vent d’été en terre entier au vent chanté.
Enfant dans les grands sapins verts c’était toi qui sifflais soufflais enfant dans les grands sapins blancs
Mon père je te répète en l’air c’est une fleur lancée assez haut
Les deux pieds dans tes graviers clairs.
Les mains pour la fleur ou l’oiseau.
Valérie Rouzeau, Pas Revoir, Le Dé bleu, 2002. p. 57.
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Toutes ces lignes allumées ne valent quoi les allume
Tant de lignes à la longue amènent bien moins d’amour
qu’elles ne savent pas dire
Encore des lignes en vain vingt-quatre trente-deux
syllabes comme le rêve passe les bornes sans trop en
avoir l’air pour ne pas en manquer
Pour ne pas dire adieu saluer et puis tracer
Valérie Rouzeau, Va où, Le Temps qu’il fait, 2002, p. 74.
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Qui riez criez kyrie oiseaux du ciel et pauvres
gens oyez c’est pour vous nous lui tant
Tant d’appuyé fort au clavier de l’orgue tout au
salut désarme.
Du poids des notes d’un songe ça tient de l’amour
phonométrographe des poires et du petit jésus
des pieds des mains et du chapeau
La messe des pauvres d’Erik Satie de mille huit
cent quatre-vingt-quinze à aujourd’hui ave à vie
Amen oh yé à vous nous lui aux gens du ciel
pauvres oiseaux
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Ca pleut ça plore et fuit c’est ouf après
le temps vrai temps de chien que j’entends dire
les gens dehors
Cambou sur le toit tam-tam tuiles vasistas was
ist tis the rain ?
Tintamarre fête salut grenouille bonne averse
tapage en mes feuilles
Valérie Rouzeau, Kékszakállù, (ovale ou ronde) &tc., Les Faunes, 2004, pp. 13 & 24.
Les Faunes, 103, rue Manin, 75019 Paris
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Ce soir je vais écrire un long poème lyrique
je trouverai le titre après
l’herbe verte tendrement bruit de campanules
l’amour supposé plume perdue bleue
le geai
un vent infidèle à Éole un vent épidermique
amour d’homme à homme
d’homme à femme
Rimbaud blessé en Angleterre mais Nevermore
miaulements angoissants de la nuit nasillarde
je trouverai le titre après
j’avance à tâtons vers une farce une farce
et j’aurai beau nommer l’Amour le toucher
je resterai toujours terriblement seule
avec ma peau sur le dos
ma peau comme un symbole et que sais-je
ma peau
qui dort l’été qui dort
tendrement l’herbe est verte une fillette l’apporte
sur un plateau de verre
d’où le monde peut paraître limpide
je trouverai le titre après
Le jour fuit sous la tôle ondulée
des hangars de désespérances
où traîne un vieux poème en loques
Le caniveau charrie noir du sang
c’est la petite poupée morte
c’est le joli songe amputé !
Ah une autre planète le nom l’adresse
le numéro de téléphone
du neuf à palper autrement gémir
s’il faut gémir
nouveaux l’être et l’avoir
le cimetière est mort !
Valérie Rouzeau, Je trouverai le titre après, éditions Le Pont sous l’eau, 1989, p. 16 et 25.