Un paysan, un jour, guettait :
L’oeil à la serrure, il épiait.
Or, qu’aperçut-il sur son lit ?
Un autre homme ! Et sa femme aussi !
Comme il disait : »Las, qu’ai-je vu ? »
Tout soudain, sa femme apparut :
« Qu’avez-vous vu, mon bon ami ? »
« Quoi ? Un autre homme, à mon avis,
Sur le lit, à vous embrasser ! »
La voici fort courroucée :
« C’est clair, nul doute n’est permis,
Toujours votre vieille folie !
Mais croire erreur n’est point savoir ! »
« J’ai vu, dit-il, donc je dois croire. »
« Vous êtes fou si vous tenez
Pour vrai tout ce que vous voyez. »
Par la main, Madame le mène
A une cuve d’eau bien pleine,
Lui ordonne d’y regarder
Et se met à lui demander
Ce qu’il y voit. Sur quoi, il dit
Que l’image qu’il voit, c’est lui.
« Et vous n’êtes pas cependant
Sous l’eau avec vos vêtements,
Quoi que disent les apparences !
Il ne faut pas faire confiance
A vos yeux qui mentent souvent. »
Sur ce, il dit : »Je me repens.
Chacun doit croire tout à fait
Ce que sa femme estime vrai,
Non ce que voient ses yeux trompeurs,
Maîtres de folie et d’erreur. »
Par cet exemple on le voit bien,
L’astuce d’un esprit malin
Est plus utile à bien des gens
Que tous leurs biens et leurs parents.
Marie de France (XII siècle).
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