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Les deux faces de la médaille
Irvin Yalom vous le connaissez si vous lisez ce blog depuis plusieurs mois, je l’avais déjà suivi dans les jardins d’Epicure et j’avais beaucoup aimé la balade.
Son nouveau roman est dédié à Spinoza, un génie s’il en fut et ça tombe vraiment bien car il est sans doute le philosophe à qui je porte la plus grande admiration. Mais Irvin Yalom ne se contente pas d’un roman biographique car son texte a deux versants et le second est dédié à la vie d’un des hommes les plus terribles du siècle : Alfred Rosenberg qui fut à l’origine de l’idéologie nazie prônant la supériorité de la race aryenne et l’antisémitisme et qui un jour eut à faire avec Spinoza et plus spécialement sa bibliothèque.
Le sceau et la devise de Spinoza
Une face lumineuse et une face obscure.
La face lumineuse d’abord : Irvin Yalom nous propulse dans l’Amsterdam du XVII ème siècle dans les boutiques qui jouxtent la Synagogue. Il nous fait faire la connaissance de Bento Spinoza (ou Baruch ou Benedictus) et nous le montre étudiant déjà érudit, promis aux plus hautes fonctions, mais ... il y a un mais de taille, Spinoza est à quelques jours de son excommunicationou Herem, par les rabbins de la Synagogue d’Amsterdam.
Le Herem prononcé le 27 juillet 1956 est infamant et définitif :
« Nous excluons, chassons, maudissons et exécrons Baruch de Spinoza »
Il est non seulement exclu mais les rabbins attirent sur lui les foudres divines
« Qu'il soit maudit pendant son sommeil et pendant qu'il veille. Qu'il soit maudit à son entrée et qu'il soit maudit à sa sortie. Veuille l'Éternel ne jamais lui pardonner. Veuille l'Éternel allumer contre cet homme toute Sa colère et déverser sur lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi : que son nom soit effacé dans ce monde »
Et pour la mise au ban soit totale :
« Qu'il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l'approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits. »
Baruch Spinoza a bien des tords, il a ouvertement mis en cause le contenu de la Torah, son origine divine, il s’interroge : avec qui les enfants d’Adam et Eve se sont-ils mariés ? Comment Moïse pouvait-il écrire sur sa propre mort ? La Torah ne serait-elle pas un conte à dormir debout et la vérité de Dieu ne serait-elle pas ailleurs ?
La face obscure est celle d’Alfred Rosenberg, étudiant qui vers 1910 se passionne pour les thèses de Houston Chamberlain sur la prétendue supériorité de la race aryenne, ayant tenu un discours antisémite virulent il est sommé de s’expliquer devant la direction et se voit contraint de faire un travail sur les écrits de Goethe et sur l’admiration que le « Génie allemand » porte à Spinoza.
Ce pensum Alfred Rosenberg s’en acquitera mais cela n’aura pas l’effet escompté par ses professeurs. La trajectoire d’Alfred Rosenberg va définitivement s’infléchir vers le mal.
Irvin Yalom tresse un récit passionnant de bout en bout, le portrait de Spinoza et son parcours qui aboutit à une Ethique de la joie se dévore littéralement. La vie et la pensée de Spinoza nourrissent le livre et même s’il s’agit ici d’une simplification de la pensée du philosophe, celle-ci est habile et juste.
Les ruptures occasionnées par le texte sur Rosenberg sont l’occasion de s’interroger sur la nature du mal, sur son inéluctabilité. Quelque chose ou quelqu’un aurait-il pu empêcher cet homme de devenir un des plus grands criminel ?
Cette construction en deux volets est très réussie et les liens entre les deux récits très efficaces.
On retrouve ici le meilleur de Yalom, sens du récit, écriture prenante, originalité du propos, bref un très très bon livre.
L’avis de Christw
Le livre : Le Problème Spinoza - Irvin Yalom - Traduit par Sylvette Gleize - Galaade Editions- 2012