Matisse présenté en séries et en finesse
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Matisse, paires et séries, au Centre Georges-Pompidou
Après la calamiteuse exposition Munch où une présentation pédante et prétendument thématique avait pour seule fonction de dissimuler aux yeux du public le refus de prêt des œuvres majeures de l’artiste par les musées norvégiens, on pouvait redouter le pire à l’annonce d’une exposition Matisse. C’est l’inverse qui est vrai, on ressort enchanté ! Cécile Debray, une jeune conservatrice du musée national d’Art moderne, qui s’était déjà fait remarquer par une judicieuse exposition de Lucian Freud à Beaubourg et une reconstitution de la collection Stein au Grand-Palais, a réussi ici une présentation pétillante d’intelligence et de subtilité. C’était là une gageure et un exercice de haute voltige. Une rétrospective Matisse étant désormais quasiment impossible, car trop onéreuse, Cécile Debray est parvenue à partir d’une soixantaine de peintures et une trentaine de dessins, présentés sur un mode sériel, en privilégiant les paires, à retracer le parcours du maître, évitant avec habileté les pièges afférents à ce type de présentation.
La démarche est justifiée car Matisse, comme son ami Bonnard, a sans cesse repris les mêmes thèmes, jouant tantôt de la modulation et tantôt essayant au contraire une autre formulation picturale. Donc, des séries de deux ou trois tableaux seulement, sur le même motif, où des peintures célèbres voisinent avec des toiles méconnues, voire inachevées, afin de montrer à chaque fois le travail de recherche de l’artiste sous un angle différent. S’agissant d’une présentation sérielle, on pouvait craindre les trop fameuses Odalisques des années vingt, dont Matisse a abusé. Cet écueil a été heureusement esquivé tout comme l’impression de ressassement stylistique par le contraste entre la figure et le décor. On constate au contraire que le peintre, tout au long de sa vie, a sans cesse recherché de nouvelles solutions plastiques, tant en ce qui concerne le cadrage, l’épuration de la forme, la perspective, la gamme chromatique, le rapport intérieur extérieur ainsi que celui du dessin à la couleur, sans jamais se satisfaire des expériences et des découvertes des années fauves où il a forgé le style qui l’a rendu célèbre.
L’accrochage fluide et aéré n’a pas pour fonction de placer les chefs-d’œuvre en exergue, comme c’est trop souvent le cas, mais de scander les différents moments de l’évolution de l’artiste, tout en courbes et en bifurcations. Le parcours s’ouvre sur des vues de Paris autour de 1900, encore sous influence impressionniste (Sisley, Pissarro) pour s’achever sur les figures découpées (quatre seulement) des années cinquante. Une invitation à entrer dans la danse.
Yves Kobry
« Matisse, paires et séries », Centre Georges-Pompidou, jusqu’au 18 juin 2012. Catalogue : sous la direction de Cécile Debray, 288 pages, 42 euros.