Leçon de Jazz d’Antoine Hervé
« Mac Coy Tyner : tempête sur les musiques du monde »
Paris. Auditorium Saint Germain.
Jeudi 10 mai 2012. 19h30.
Antoine Hervé : piano, enseignement
Sylvain Romano : contrebasse
Dré Pallemaerts : batterie
La photographie d'Antoine Hervé est l'oeuvre du Républicain Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette photographie sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales.
Lectrices exigeantes, lecteurs pointilleux, sachez que je ne porte pas de lampe frontale pendant les concerts. Si l’obscurité est propice à l’écoute et à la méditation, elle ne l’est pas à l’écriture. Je vous transcris ici ce que j’ai pu relire de mes notes. Les erreurs et les lacunes sont donc miennes. En élève consciencieux, j’ai toutefois relevé une ou deux erreurs factuelles dans les propos du Professeur Antoine Hervé qui n’invalident en rien la qualité de cette leçon consacrée au pianiste Mac Coy Tyner, né en 1938, dont la carrière ne saurait se résumer à son brillant passage dans le quartet de John Coltrane (sax ténor, soprano) avec Jimmy Garrison (contrebasse) et Elvin Jones (batterie) de 1960 à 1965.
Cette Leçon de Jazz est consacrée uniquement aux compositions de Mac Coy Tyner. Rappelons d’abord que dans le quartette de John Coltrane les soli de chaque musicien étaient si longs que le chef avait le temps de manger son assiette de spaghetti posée sur le piano pendant que ses musiciens improvisaient. Une utilisation judicieuse du temps de travail, évitant la pause déjeuner (payée mais pas travaillée) qui devrait inspirer les DRH, comme le fait remarquer judicieusement le professeur Hervé.
Le trio commence par « Uptown ». C’est joli, entraînant et puissant. Bref c’est du Mac Coy (le pianiste pas le héros de BD ou l’auteur de polars). Le batteur peut jouer plein pot en même temps que le pianiste. Le contrebassiste fait entendre sa vibration au centre.
Mac Coy Tyner tient l’Afrique (l'Afrique, c'est Chic!) et les musiques du monde au bout de ses doigts. Ses mélodies sont simples et efficaces, très bien construites avec des répétitions de phrases. Ce système se trouve dans toute la musique populaire du XX° siècle mais est rejeté par la musique dite contemporaine. Mac Coy Tyner est né à Philadelphie, ville riche en musiciens de qualité (le batteur « Philly » Joe Jones, le pianiste Bud Powell, le saxophoniste ténor Benny Golson, les frères Heath). Par contre, je dois reprendre le Professeur Hervé sur un point : John Birks « Dizzy » Gillespie est né à Cheraw, Caroline du Sud et non pas à Philadelphie. Cependant, il a passé son adolescence à Philadelphie. 1-1. La balle au centre.
Pour le Professeur Hervé, le Jazz ce sont les Pan Africains (les Pan Américains ont fait faillite. Blague personnelle), les Créoles et les Latins. Je ne suis qu’un modeste élève du Professeur Hervé mais je ne peux accepter cette théorie. Et les Juifs, les Italiens et les Gitans ? N’ont-ils rien apporté au Jazz ? Stan Getz, Benny Goodman, Lee Konitz, Al Cohn, Eddie Rosner, John Zorn, Artie Shaw, Martial Solal, Lou Levy, Dean Martin, Tony Bennett, Frank Sinatra, Frank Rosolino, Django Reinhardt et sa famille, les frères Ferré, Christian Escoudé, c’est de la roupie de sansonnet, peut-être ? Le minority factor ne vaut pas que pour les Noirs et les Métis dans le Jazz, musique métisse. Il vaut aussi pour les Blancs de peau comme le chantait Claude Nougaro. Aujourd’hui, il y a même des Bretons dans le Jazz : Pierrick Pédron (sax alto), Eric Le Lann (trompette) et Antoine Hervé (piano) qui est au moins Breton de nom. C’est dire la tolérance qui règne dans ce genre musical.
Le Professeur Hervé montre par l’exemple le passage d’une mélodie de Mac Coy à une mélodie caraïbe. Imparable.
« Opus » tiré de l’album « Inner Voices » avec chœur d’enfants brésiliens. Tchick, tchick fait le batteur. Effectivement, ça sonne latin mais à la mode Mac Coy Tyner. La contrebasse lance une autre mélodie dans le morceau. Ca swingue toujours aussi grave.
Dans les années 50-60, les musiciens noirs américains recherchaient leur africanité fantasmée. John Coltrane a beaucoup appris en jouant avec Thelonious Monk : « Jouer avec Monk c’est comme entrer dans un ascenseur. Les portes s’ouvrent, vous faites un pas en avant et il n’y a pas d’ascenseur ». Bref, ce n’était pas facile mais c’était formateur. « High Priest » composition de Mac Coy dédiée au « Prophète » Thelonious Sphere Monk. Monk aimait les clusters, deux notes proches l’une de l’autre jouées en même temps. Variations Jazz au piano sur « Au clair de la lune ». Monk aimait aussi les tonks, les notes graves frappées. Avis aux pianistes : si vous voulez travailler votre toucher, n’écoutez pas Monk. Le rock’n roll se jouer sur des quintes. Ex : « Smoking on the water » (Deep Purple, morceau composé suite à un incendie au festival de Jazz de Montreux lors d’un concert de Frank Zappa). Le Jazz moderne lui se joue avec des quartes.
Le Professeur Hervé nous explique ensuite le Jazz modal qui vient de la West Coast (Gerry Mulligan, Chet Baker) et a été repris par Miles Davis grâce à un pianiste blanc qui lui a fait écouter Ravel et Stranvinki, Bill Evans. Rappel historique : les 7 notes de la gamme occidentale dite dorienne (do, ré, mi, fa, sol, la, si) correspondent aux 7 planètes que connaissaient les Grecs anciens. C’est une invention de Pythagore, géomètre et gourou philosophique, auteur notamment de cette pensée mémorable : « Il y a un principe bon qui crée l’ordre, la lumière et l’homme et un principe mauvais qui crée le chaos, les ténèbres et la femme ». Pythagore vivait seul entouré de jeunes et beaux garçons. Ceci explique cela.
Après cela, les explications du Professeur Hervé sont devenues vraiment complexes et mathématiques (comme Pythagore mais sans jeunes et beaux garçons autour de lui) et mes notes illisibles. Je retiens la filiation avec Claude Debussy pour le travail sur les touches blanches du piano (le pianiste de Jazz est un « ivory tickler »).
J’ai noté aussi les propos sur la polyrythmie aussitôt démontrés par Dré Pallemaerts aux maillets. 4 mesures à 3 temps ou 3 mesures à 4 temps, cela fait toujours 12 temps, n’est-ce pas ?
« Island Birdy », composition influencée par la musique caribéenne. Celle-ci vient de la musique espagnole, la habanera. Logique puisque Christophe Colomb a débarqué, pour le compte du Roi d’Espagne, sur l’île de Saint Domingue. Exemple avec le grand air « Carmen » de Bizet joué par un trio de Jazz. « Si tu ne m’aimes pas, je t’aime et si Je t’aime, prends garde à toi ». Ils enchaînent directement sur le morceau de Mac Coy.
« Fly with the wind », mélange d’Afrique et de Caraïbes. Je hoche la tête, bats du pied. Ca swingue terrible. La composition est simple et diaboliquement efficace.
Mac Coy Tyner est allé au Brésil. Ce qu’il en a tiré n’est pas du Jobim mais du Mac Coy Tyner. Changer tout en gardant son identité, c’est le propre des créateurs. « Festival in Bahia ». Le Brésil manié par la patte puissante de Mac Coy cela donne une nouvelle mélodie entêtante et irrésistible.
Le Professeur Hervé teste les capacités de ses élèves en calcul mental. La musique est un art mathématique. C’est une évidence que je retrouve à chaque Leçon de Jazz. Démonstration de gamme par tons (6 notes) chère à Claude Debussy et Walt Disney (le compositeur préféré de notre ex président précise le professeur Hervé. Qui connaît le compositeur préféré du nouveau président, d’ailleurs ?). Ici, les mesures asymétriques. Par exemple, le 5/4 de Dave Brubeck (« Take Five » composition de Paul Desmond d’ailleurs) ou Bill Evans. Un cycle de 4 mesures à 4 temps donne 16 temps. Un cycle de 4 mesures à 5 temps ou de 5 mesures à 4 temps donne 20 temps. Logique. Exemple avec « Four by five », composition de Mac Coy. Rien à voir avec le football où une composition en 5-4-1 (le gardien ne comptant pas) dénote un jeu ultra défensif. Là, ce n’est pas du tout le cas.
Après les 5 temps, les 3 temps de la valse. 3 * 3 = 9. Solo de contrebasse magique pour commencer (joué par Ron Carter dans l’enregistrement de Mac Coy). Une valse bien loin de Chopin.
Démonstration sur la pentatonique, les touches noires du piano. Démonstration de musique chinoise puis de Pop Music occidentale reposant sur la pentatonique. A partir d’une basse, on peut faire défiler les tonalités pour donner des effets multicolores. Lorsque John Coltrane est allé complètement dans le Free, entre 1965 et 1967, Mac Coy Tyner est parti parce qu’il ne ressentait plus cette musique. Il aime la liberté dans la contrainte, celle des grilles harmoniques. JS Bach faisait de même lorsqu’il écrivait ses canons. « Comprendre, c’est ramener au déjà vu » (Nietzsche). D’ailleurs, c’est aussi Nietzsche qui a écrit « Sans musique, la vie serait une erreur » et « Dieu doit beaucoup à Bach ».
« Song of the new world ». Enfant du Nouveau Monde, Mac Coy Tyner le compose différemment de Dvorak. Le point commun, c’est l’énorme énergie vitale qui se dégage de ces deux musiques. Ca désensable les portugaises. Ca envoie du puissant. Un dernier roulement de tambours, une dernière frappe de cymbales et c’est fini.
RAPPEL
« Blue for ball » ( ?). C’est un Blues à la Mac Coy , puissamment énergisant. Cet homme devrait être sponsorisé par l’industrie énergétique. En sus de l’aspect pédagogique, c’est un fameux trio qui joue ce soir. Ils ne sont pas tous Bretons mais ils déménagent ! Solo de batterie bien construit aux baguettes. C’est Dré Pallemaerts aux commandes. Pas d’étalage.
J’ai beaucoup appris et beaucoup apprécié. Que demander de plus ? Redoubler cette leçon car je n’ai pas tout compris, tout saisi, tout noté, élève ignorant que je suis.
Même si je suis loin de maîtriser le sujet, il faut déjà se préparer à la prochaine de Leçon de Jazz d’Antoine Hervé, à Paris, à l’Auditorium Saint Germain le lundi 4 juin 2012 à 19h30. Thème : Monsieur le Baron Thoots Thielemans, Belge et harmoniciste de Jazz. Invité : Olivier Ker Ourio, Réunionnais, descendant de marins bretons (Sous chaque vague, un Breton!) et harmoniciste de Jazz. A écouter pour préparer la leçon, l’album duo Martial Solal (piano)&Toots Thielemans (harmonica) (Erato, 1992).