Il y a bien longtemps que je ne m’étais plus autant amusé en lisant un bouquin… On réalise à quel point la « littérature française » s’enlise quelquefois dans une sorte de sinistrose – en versant dans le pathétique, le pseudo-tragique, le complaisamment sordide, le faussement réaliste, etc etc etc… Or que voilà subitement un texte à la fois décapant et bien écrit, avec un style digne de euh… de chez Gallimard. Mais le ton est fantasque et un peu érotique, digne des éditions de la Musardine. On se prend au jeu, et c’est seulement en refermant que la couverture gris pâle et tristounette nous rappelle enfin que l’éditeur est un français, et pas des moindres. Car s’il est une tradition bien ancrée ici, c’est d’enrober de couvertures les plus hideuses possibles… Une façon sans doute d’affirmer que l’essentiel est dans les mots… Certes, mais quand les mots sont à l’instar de l’emballage… Quid ?
Nous voici dans le village de Neuville, où un généreux légataire américain, se souvenant de ses origines, a décidé de faire un cadeau d’envergure : un cimetière grandiose ! C’est une façon pour lui de convier les habitants à le rejoindre dans l’au-delà… Ce legs va bouleverser la vie du petit village, qui n’avait plus rien connu de remarquable depuis des siècles. Les traditions sont bien ancrées. L’esprit est resté un peu moyenâgeux…. Très rapidement, le chantier se met en place.. Et voilà que bientôt de somptueux tombeaux sont aménagés… Si beaux que certains habitants décident d’y élire domicile. En effet, on y trouve tout le confort moderne, électricité, sanitaires…
Nous faisons connaissance avec des personnages hauts en couleurs… Il y a la jeune Monique, qui couche avec son père, chose normale dans la famille, quoique… Elle rêve d’épouser Buh. Il y a le René Vendrèche, maire par intérim, qui rêve de trousser une journaliste, laquelle n’a pour ambition que de réaliser un reportage sur ce lieu devenu mythique ! Pour arriver à ses fins, René devra convaincre ses concitoyens…
Dans une écriture à la fois concise et agréable, l’auteur nous mène dans cette petite folie littéraire pas comme les autres. C’est à la fois bien écrit, sur un ton truculent, ironique, jamais lassant. Le seul regret c’est que la fin arrive trop vite. Ce roman est en quelque sorte un prélude de ce qu’il aurait pu être. Le lecteur attendra peut-être un développement, qui ne vient pas. Le texte poursuit sur un même mode, qui consiste à passer en revue les manies des habitants à la grosse loupe… Mais avec quel brio ! Décapant, distrayant, voici un roman que je conseille à ceux qui aiment la belle écriture mais pas trop sérieuse ! Un amalgame que l’auteur réussit fort bien…
« Anne-Marie Mingue était une vraie professionnelle de la télévision. Elle pratiquait la fellation avec ce sang-froid qui caractérise les gens de métier. Sa carrière avait été ponctuée d’un nombre décroissant de sexes érigés. Au début, jeune stagiaire, elle avait mâché tout le monde dans les coins, dans les toilettes, dans les voitures, dans le local à poubelles, dans le placard à balais, derrière la machine à café, partout où elle se supputait une chance raisonnable de progresser sur le chemin de la réussite. À vingt-trois ans, elle avait mâché son premier journaliste sportif, une vedette qui passait à l’antenne trois fois par semaine, et presque chaque soir en période de championnat. »
Le testament américain – Franz Bartelt. Éditions Gallimard
Date de parution : 29/03/2012